Première Partie

Envoûtement et désenvoûtement

Qu'est-ce que le pourvoir magique ?
La Magie et la Sorcellerie sont comme les deux doigts de la main. Tous deux font appel à ce que les ethnologues ont nommé le Mana, un mot polynésien qui veut dire "force". Cette force existe partout dans l'univers ; le rite la capte, la domestique, la concentre en un point. Le rite est privé, secret, mystérieux, il ne fait pas partie d'un culte organisé, il est magique.La religion se distingue donc de la magie. La magie est l'extériorisation des souhait que l'homme désire réaliser. Mais y parvient-elle réellement ? C'est moins sûr... La magie commanderait aux forces du mal, elle les materait, les rendrait inopérantes ; tandis que la sorcellerie se contenterait d'essayer de commander à ces même forces, mais n'y arrive pas totalement, elle devient dominé par elles, elle serait... leur esclave !

Comment agit le magicien ?
Les ethnologues, anthropologues, sociologues et autres variétés de chercheurs sont parvenu à une classification des modes d'action du pourvoir magique. On peut les diviser en deux grandes catégories : par contagion et par similitude. "Les choses qui ont été une fois en contact - nous explique Frazer, dans Rameau d'or - continuent d'agir l'un sur l'autre, alors même que ce contact a cessé", ce qui peut se résumer à une seule formule : la partie vaut pour le tout. C'est en cela que quelques cheveux peuvent suffirent à agir sur une personne. C'est le rite voulant, par exemple, que la couleur jaune appelle la jaunisse et en débarrasse le malade. Le voult* en est l'application la plus connue.
* Je vous propose de le définir dans la suite du dossier, nous ne sommes encore qu'en introduction ici...

Maladie et mort = envoûtement.
Dans la conception de l'homme primitif - une conception qui s'est maintenue dans le monde entier - les maladies et la mort ne sont pas naturelles et ne peuvent être que la conséquence d'un envoûtement. Envoûtement causé par d'autres humains, ou bien par de mauvais génies, ou encore par la Diable chez la chrétiens.
Que sont ces génies ?
Des divinités secondaires, il en existes des bons, les anges du christianisme par exemple, et des mauvais, qui ne cherchent qu'à nuire, contre qui nous devons nous défendre, sans cesse en train de les désarmer en accordant des cultes ou des concessions... Que l'envoutement vienne du magicien noir ou d'un génie maléfique, il n'approte pas moins le malheur aux pauvres humains.
Comment peuvent-ils se protéger ?
Par le contre-envoûtement, selon le principe universel qui veut qu'à toute action, il y ait réaction, qu'à toute force d'attraction, il y ait répulsion, en vue de maintenire l'équilibre du monde créé.
Nous allons nous trouvé confrontés à l'envoûtement, dans leurs avatars les plus divers.

D'où vient le mot "sorcier" ?
Beaucoup apparentent le mot sorcier à la déformation de "sourcier". Celui qui découvre les sources ainsi que les filons de minerais, grâce à un pendule ou une baguette divinatoire.
Cette origine n'en est pas moins fausse : sorcier vient du mot sort. Un maléfice lancé contre quelq'un par un "jeteur de sorts". C'est pourquoi une distinction est à faire entre l'envouteur et le jeteur de sorts, qui est vraiment (éthymologiquement donc) le sorcier.

Envoûteur et jeteur de sorts.
Tandis que le sorcier n'emploie que sa seule force psychique, l'envouteur agit par l'intermédiaire d'objets. Ces objets, découverts, peuvent prouver la trace de sortilèges. L'envoûteur à besoin d'un voult*, et s'en fabrique très souvent un lui même. Le jeteur de sorts agit de manière radicale, immédiate, d'un geste il lance son sortilège, comme une pierre sur sa cible. Le plus souvent il s'agit de sorts maléfiques, mais il existe les sorts bénéfiques (ou "barreurs de sorts"). Il arrive que ce soit le même personnage qui "maléficie" et "bénéficie".
"Le sort jeté par un magicien ne peut être levé que par un autre enchanteur plus puissant, moyen fort ingénieusement imaginé pour imposer aux dupes une double contribution" a dit un sceptique.
* Je vous propose de le définir dans la suite du dossier, nous ne sommes encore qu'en introduction ici...

A quels signes reconnaît-on le sorcier ?
Il y a d'abord le signes physiques, qu'on voit en tout premier, et la profession. Des yeux bordés de rouge et larmoyants, des troubles du regard, ou bien des tâches de vin, une infirmité, une tare physique, voilà ce qui pourrait faire naître la présomption de sorcellerie. En outres, ils sont souvents agés.
Pour découvrir d'autres caractéristiques plus convaincantes (aux yeux de nos lointains ancêtres), il faut déshabiller le suspect et chercher les "marques du Diable". Elles sont de plusieurs types : cicatrices, grains de beauté, tâches sur le corps. Selon le demonologue De Lancre au temps de Louis XIII et d'Henri IV, il s'agit de stigmates infligé par Dieu : "Satan est le vrai singe de Dieu (...), il les donne en cachette (...), il les imprime souvent, ou en des parties si sales qu'on a horreur de les y aller chercher : comme dans le fondement de l'homme, ou en la nature de la femme ; ou bien comme il est extrême et dénaturé, au lieu le plus noble et le plus précieux qui soit en toute la personne ; ou il semble impossible de l'imprimer, comme les yeux, ou dans la bouche. C'est ici qu'arrive le "sceau du Diable", on peut le trouver n'importe où.
Un autre type de marque du Diable, jugée comme indiscutable, irréfutable, est l'insensibilité d'un endroit quelconque de la peau à la piqûre : c'est la plaque analgésique, aujourd'hui prise par les médecins et psychiatres comme un symptôme de l'hystérie.

 

Si mon introduction vous a mise en appétit, le dossier commence ici. J'ai mis longtemps a sélectionner des parties interressantes du livre cité précédemment. (environ 1 an) Bonne lecture !

 

1.1. Les maléfices
Commençons d'abord par le mot "maléfice". Il signifie éthymologiquement : mauvaise action. Un maléficie veut donc nuire, mais au moyen d'une opération de magie noire. Les sorciers agissent de deux façons (comme nous l'avons vu) : en jetant un sort (d'un geste et/ou d'une phrase), ou en faisant appel à des supports concrets. Au terme maléfice s'occtroit plusieurs synonymes : prestige, charme, sortilège, enchantement...
Un individu atteint par un maléfice est dit "maléficié". Tandis que l'adjectif "maléfique" indique la mauvaise influence de l'acte ou de la parole ainsi définie, mais avec un soupçon d'une origine inexpliquée, surnaturelle, magique. Le maléficier est le sorcier qui jette ces maléfices.
Les théologiens ont établi une classification des maléfices, mais chacun a la sienne, qui diffère plus ou moins de telle ou telle autre...

Pour résumer, citons les catégories de mauvaises actions qui se retrouvent un peu partout : inspirer l'amour, inspirer la haine, causer l'impuissance, envoyer des maladies, causer la mort, priver de raison, endommager les propriétés, soit 7 principales variétés de maléfices. Faut-il voir dans le chiffre 7 une valeur elle-même magique, comme les 7 pêchés capitaux ou les 7 branches du chandelier juif, ou encore les 7 jours de la création ?

1.1.1. Méthodes de Sorciers

Dans cette partie je vais essayer de vous expliquer comment s'y prennent les socrier pour arriver à leurs fins. Il y a tout d'abord le simple "jet de sort" : un geste de menace, quelques mots de malédiction, qui n'auraient guère de chance d'aboutir à un quelconque résultat, si n'y était joint un énorme déploiement de volonté.
Tous les occultistes sont d'accord là-dessus: « Vous devez tenir pour certain que l'action de la volonté est d'une grande importance», a écrit Paracelse.

Comme toute faculté psychique ou physique la volonté se cultive, se développe, au moyen d'un certain entraînement, qui rappelle un peu la technique du Hatha-Yoga: (Je pense que de nos jours on peut un peu l'apparenter aux techniques Zen mais j'avoue que je ne connais pas énormément cette "culture")
- respect d'un horaire régulier d'isolement moral
- choix d'un lieu d'exercice (qui peut être une forêt profonde, une grotte, un alignement de mégalithes, ou une simple pièce tranquille aménagée à la façon d'un oratoire)
- port d'un vêtement de laine blanche, la laine étant un isolant contre les radiations extérieures
- postures de relaxation (assise ou couchée)
- exercices de respiration lente, profonde, rythmée et consciente
- développement tout spécial des facultés imaginatives, en vue de la visualisation. C'est une véritable ascèse (où abstinence et continence sont presque indispensables) à laquelle est convié le candidat magicien par Sabazius, dans un traité fameux - et dangereux à suivre - qui a pour titre: Envoûtement et contre-envoûtement, qui date du XIVe siècle, mais fut souventes fois réédité...

Les sorciers se soumettant à cette stricte et astreignante discipline doivent être assez rares. Mais l'emploi d'un support les aide à fixer leur attention et leur volonté plus facilement: et c'est alors la pratique de l'envoûtement proprement dit, pratique usitée le plus couramment pour obtenir le maléfice recherché. Lisons à nouveau Paracelse: « Si, animé d'une haine contre quelqu'un, je veux lui faire du mal, il est nécessaire pour la réussite que je me serve d'un intermédiaire, c'est-à-dire d'un corps. C'est ainsi qu'il est possible que mon esprit transperce ou blesse une autre personne avec mon épée sans le secours de mon corps, par l'effet de mon ardent désir, et cela peut se faire parce que, par ma volonté, je fixe l'esprit de mon adversaire dans une image; je peux arriver ainsi à rendre cet adversaire difforme ou boiteux, à mon gré, par le moyen de la cire ( ... ) De même, il peut arriver que des images soient affligées, à la suite de malédictions, de maladies telles que les fièvres, les épilepsies, les apoplexies, et autres semblables lorsqu'elles ont été bien préparées. »

Dans les recommandations de Sabazius, on aura certainement remarqué la dernière, concernant le développement des facultés imaginatives en vue de parvenir à une excellente visualisation. «Il faudra visualiser de plus en plus (...) l'être auquel on s'intéresse; il faudra le voir, le «sentir», le «tenir», mais tout cela naturellement, au point de se demander s'il est là, tant l'intensité doit être soutenue, calme, précise, naturelle», nous exhorte le même Sabazius. On ne saurait trop insister sur l'importance de la visualisation et sur ses immenses pouvoirs, en tant que telle, hors même de toute ingérence de la magie.

1.1.2. L'envoûtement

Dans une intention d'amour, ou de haine, un homme essaie de contraindre les lois de la Nature ou du Destin et de les infléchir dans le sens qu'il désire: se faire aimer d'une femme, tuer un ennemi, faire périr son bétail... Pour y parvenir, cet homme - l'envoûteur - effectue une opération magique au moyen d'un support, ce qui l'aide grandement à concentrer son attention et sa volonté, nous le savons déjà. Ce support est généralement une image, une effigie, une figurine. Une autre aide est demandée aux incantations, qui sont des paroles, des formules magiques, le plus souvent en un charabia incompréhensible, où voisinent de l'hébreu, du grec et du mauvais latin, un charabia digne de celui du Diafoirus de Molière... Toujours d'après Sabazius, reprenons cette formule d'invocation:
«Arator, Lapidator, Tentator, Sommator, Ductor, Comestor, Devorator, Seductor, vos omnes socii et ministri odii et destructionis et semineratores discordiae, qui libenter talia opera facitis et pertractatis, et quia non est necesse vos conjurare, idea rogo et deprecor vos quatenus administretis et consacretis Imaginem istam, ut odium faciat inter talem. »

Ce texte est à peu près lisible, pour qui a étudié la langue de César et de Cicéron. Mais il n'en est plus de même de celui-ci: «Lamech Lamari Malia 0 Mathis A, A, lit, azach marabath oliac Pamach nolmech adjuro te vespertilio per patrem et ilium et spiritum sanctunt... » Toujours selon Sabazius, l'envoûteur doit, pour réussir, s'entourer de tout un attirail grand guignolesque et de toutes sortes de précautions plus compliquées les unes que les autres. Notre magicien commencera son opération avec la nouvelle Lune, évitant tout rapport sexuel pendant le premier quart de la lunaison, dormant sept heures chaque nuit. Une hématite sur une bague de fer à l'index gauche, il entamera la séance d'envoûtement, accompagné d'une psalmodie chantée en sourdine, par un assesseur, sur un rythme constant de 5 à 7 temps « obtenu en frappant un tambour fait d'un cylindre de bois tendu de peau humaine, avec la tête arrondie d'un fémur ou l'extrémité d'un tibia ».

Ajoutez à cette macabre mise en scène quelques grains d'astrologie, pour choisir le jour et l'heure fastes à la confection d'un pantacle, où entrent la traduction d'hiéroglyphes rarissimes, et la gravure de signes cabalistiques. Ajoutez encore un cierge noir gravé de signes du même type... La cérémonie peut enfin commencer.

Le mage noir « se rasera les poils des bras et des jambes, ainsi que ceux du visage et de la poitrine, il s'épilera les poils situés entre les deux sourcils. Il quittera tous les métaux laïques qu'il peut porter, sauf la bague et les instruments rituéliques. Puis, dans un grand brûle-parfum, il jettera sept grains d'encens et sept grains de benjoin le plus beau. Dès que la fumée s'élèvera, il passera dessus ses mains et son visage, par sept fumigations, et par sept fois il enjambera lentement le brûle-parfum en laissant la fumée rituelle pénétrer intimement ses parties sexuelles. La purification se terminera en proférant les formules suivantes:

»- Venez, approchez-vous de moi, ô créatures excellentes, légères, ô filles des rois, ô filles des djouns (génies chez les Arabes): Cham'ât, Denhiou, Ber'oûth, Animoùn, Mezdjel, Terqueb, faites ce qui vous sera ordonné.
»- 0 vous les Dormants, je vous conjure par le serment syriaque, de m'aider de vos pouvoirs, Ya Kerim, Ya Kerim, Ya Kerim.
»- 0 - Ya Rahim - malheur et encore malheur à celui qui m'entrave et me gêne. Au nom du Dieu clément et miséricordieux. 0 toi, Oumm es Sibyan, de la cohorte de Merra ben el H'ârith, viens à mon aide.»

Puis de nouvelles et interminables prescriptions concernant la bague et le bracelet de plomb, le collier d'onyx ou de jais (tous bijoux auparavant trempés dans du sang, animal ou humain), sur les cercles tracés à la craie, l'un pour le cierge de cire, coloré en noir grâce au charbon de sang purifié, l'autre pour un mouchoir de soie sur lequel sera posé un carré de parchemin, sur lequel carré l'opérateur écrira « le signe secret, le démon et la conjuration de la planète, avec le sang... » Quant à lui, il se placera dans un troisième cercle et « là, les mains jointes, agenouillé sur le sol, il récitera lentement des prières... »

Et ce n'est pas fini: invocations, conjurations et prières vont se succéder longtemps encore. Pour finir, le magicien brisera à coups de marteau le cierge noir. Il ne restera plus qu'à se servir du pantacle contre celui - ou celle - qui doit être envoûté. Et ce n'est pas toujours aisé: il faut, soit le coudre dans son vêtement habituel, soit le glisser à l'intérieur de son oreiller, soit le cacher dans son habitation. Comme on a pu s'en rendre compte, une telle cérémonie n'est pas à la portée du premier venu, et certainement pas à celle de nos derniers petits sorciers des campagnes berrichonnes, poitevines, ou normandes...

Mais, va-t-on répliquer, dans tout ce fatras magique et rocambolesque, il n'a pas été question de la figurine de cire. Eh! oui, Sabazius n'en a pas soufflé mot. Avec un tel luxe cérémoniel, il n'en est pas besoin. D'où l'on peut déduire - a contratio - que l'emploi de l'effigie permet de réduire la cérémonie à une dimension plus petite, en un mot que la figure de cire devient alors l'élément essentiel de l'envoûtement comme, d'ailleurs, le laisse supposer ce terme même, dérivé de «voult» qui est le vieux mot français signifiant « figure ».

1.1.3. Le « Voult »

L'élémentaire et principale pratique de l'envoûtement consiste en la fabrication d'une figure de cire, ou de terre glaise, à l'image, plus ou moins ressemblante, de celui ou de celle qu'on veut envoûter - selon la loi de la magie imitative. Cela fait, on souhaite très fortement faire du bien - ou, le plus souvent, du mal - à cette personne, et, dans cette intention, on caresse l'effigie, ou, au contraire, on la fait souffrir, d'habitude par piqûres ou brûlures. Cette figure de cire, de glaise, parfois de plomb, porte divers noms synonymes: statuette, poupée, effigie, dagyde, marmouset, charge, voult...

Ce dernier substantif est celui qui a donné naissance aux termes: envoûter, envoûteur, envoûtement, ainsi, bien entendu, qu'à désenvoûtement, etc. Voult est un mot médiéval, proche du latin, vultus dont il provient. Et vultus signifie tout simplement le visage, la figure, le voult étant à la ressemblance, et du visage, et aussi du corps de celui à qui - dans presque tous les cas - on veut nuire. Le voult est une pratique des plus anciennes, dont on retrouve la trace jusque dans la Préhistoire, et des plus universellement répandues, sur tous les continents, et dans toutes les ethnies: qui n'a vu, lors d'une exposition d'art africain - ou en photographie dans un livre illustré - telle ou telle figurine d'envoûtement, du Zaïre, du Mali, ou de tout autre pays à mentalité magique? Le voult de notre vieille sorcellerie était, ou tout entier fait de cire, ou bourré, à l'intérieur, de mouches, d'araignées, de grenouilles, de crapauds, de peaux de serpents. L'opération classique est de piquer le voult avec une aiguille, une épingle, ou un clou - selon la grosseur de l'effigie - à tel ou tel point de l'anatomie, habituellement au coeur, quand on veut obtenir la mort. Si l'on désire connaître le mode employé au temps de la Renaissance en France, il n'y a qu'à lire, dans l'un des ouvrages du démonologue Jean Wier (qui vivait au XVIe siècle et exerçait la profession de médecin), la description de toute la technique.
« Quelques-uns pensent faire tort à autrui en faisant une image au nom de celui qu'ils veulent blesser; ils la font de cire vierge ou neuve, et lui mettent le coeur d'une hirondelle sous l'aisselle droite, et le foie sous la gauche. Idem, ils pendent l'effigie à leur cou avec un fil tout neuf, laquelle ils piquent en quelque membre avec une aiguille neuve, en disant quelques mots que j'ai laissés exprès, de crainte que les curieux n'en abusassent. ( ... ) Pour faire un plus grand mal, ils font une image en forme d'homme et lui écrivent un certain nom dessus la tête, et aux côtés mettent ceci: Alif lafeil, Zazahit mel meltat levatam leutace puis ils l'enterrent dans un sépulcre. Pour le même effet, comme ils appellent, ils préparent deux images, lorsque Mars domine; l'une est de cire, l'autre est faite de la terre d'un homme mort, on baille le fer dont un homme est mort dans la main de l'une des images pour en percer la tête de l'image qui représente celui que l'on veut faire mourir. ( ... ) Pour acquérir l'amour d'une femme (c'est l'autre but principal de l'envoûtement), on fait une image à l'heure de Vénus, on la compose de cire vierge au nom de celle que l'on aime, on y appose un caractère, et on la fait chauffer près du feu: ce faisant, on se souvient de quelque ange... » Une variante nécessite l'emploi de clous retirés d'un cercueil enterré, et plantés dans l'effigie de celui dont on veut le trépas. Mais comme il n'est pas toujours facile d'aller déterrer, de nuit, un cercueil dans un cimetière et d'en arracher les clous à la tenaille, les envoûteurs procèdent parfois d'une façon beaucoup plus simple. Ils pratiquent ce qu'ils appellent l'enclouage: c'est enfoncer un clou, soit dans l'empreinte que vient de laisser à terre la personne ou l'animal à enclouer, soit, un beau jour de soleil, leur ombre portée. Evidemment, si l'on peut disposer d'un clou provenant d'un vieux cercueil, l'envoûtement a plus de chances de mieux réussir. Pour cela, certains sorciers des Charentes ramassaient un à un ces vieux clous rouillés, en disant:
« Clou, je le prends pour que tu me serves à faire tout le mal possible à ceux qu'il me plaira. Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Amen! »
Et nos Charentais procèdent ensuite d'une façon différente de ce que nous avons observé jusqu'ici: ils piquent un des clous dans l'empreinte de l'un de leurs propres pas, qu'ils entourent d'un cercle magique, imaginaire, et non réellement tracé sur le sol, afin que nul n'en puisse voir la trace. Si la victime choisie passe juste à cet endroit, elle est «enclouée », c'est-à-dire ensorcelée. Cela se fait également pour les chevaux: car faire crever chevaux et bétail de son ennemi est une forme de vengeance à la campagne, une forme d'ailleurs ruineuse pour celui qui la subit...

Au passage, on aura, sans doute, fait une remarque : le mélange incohérent et aberrant du Mal et de Dieu, qui n'est qu'Amour, dans l'incantation des envoûteurs charentais: « Tout le mal possible», suivi de la formule « Au nom du Père... » Les mystères de la mentalité des magiciens noirs sont, comme précisément les desseins de la Providence, imprévisibles, insondables et incompréhensibles, tout comme le charabia cité un peu plus haut par Jean Wier; « Alif, lafeil, Zazahit ... »

1.2. Envoûtement de mort et envoûtement d'amour

En prononçant le mot « envoûtement », on pense d'abord à la mort: le sorcier envoûte son ennemi pour qu'il soit malade, qu'il souffre, qu'il dépérisse, qu'il meure, il envoûte les bêtes de celui dont il envie la prospérité et la richesse pour qu'elles ne donnent plus de lait, pour qu'elles n'aient plus de petits, et pour qu'elles crèvent; il envoûte les champs pour que les épis ne mûrissent pas, il envoûte la ferme pour qu'elle brûle...

L'envoûtement a, pourtant, un autre but: au lieu de la haine, l'amour. Pas le noble et pur amour platonique, mais l'amour charnel, érotique, la possession de la femme - parfois de l'homme - qu'on désire. La figurine joue ici le même rôle, bien qu'on lui adjoigne les charmes et les philtres, comme on le verra sous peu. Une tentative d'envoûtement d'amour est demeurée célèbre: celle que la Montespan fit pratiquer sur Louis XIV, à la fois par des messes noires et des philtres.

Plus compliquées que la recette du Picatrix - qu'on lira plus loin - étaient celles mises au point par l'Américain Paschal Beverley Randolph, magicien noir du siècle passé, et fondateur d'une société secrète érotique, The Eulis Brotherhood. Il a révélé sa technique assez spéciale dans un livre: Magia Sexualis, traduit en français et édité à Paris par une femme étrange et mystérieuse, une Slave, répondant au nom de Maria de Naglowska, qui eut son heure de célébrité à Montparnasse, un peu avant la Seconde Guerre mondiale, et dont la devise était: « Vers la Connaissance à travers l'AmourRandolph, comme Naglowska, était un adepte de ce qu'on nomme le tantrisme de la main gauche, celui qui fait appel à la sexualité, à l'érotisme. D'ailleurs la magie noire - celle des sorcières se rendant au Sabbat pour forniquer avec Satan - est toujours liée à l'acte sexuel, comme on le découvrira dans les descriptions de messes noires... Randolph préconise l'emploi classique du voult, mais il ajoute à cette pratique l'usage d'un parfum et d'une couleur adaptés au sujet à séduire. Pour distiller ce parfum « personnalisé», il choisit des plantes et des fleurs selon l'horoscope de la femme qu'il convoite, il en tire des « extraits de forces». Pour cela, les plantes doivent macérer dans de la graisse de porc chaude, additionnée de gros sel et d'alcool. Sabazius, quant à lui, préconise une autre méthode: remplacer l'effigie par une personne vivante et consentante avec laquelle le magicien fera l'amour, soit au cours d'une messe noire, soit tout simplement dans une chambre, mais sous certaines conditions: faible éclairage; encens; effigie placée près du couple; postures particulières; choix des jours et heures d'après l'horoscope de la personne a séduire...

En dehors de la haine et de l'amour, qui sont, peut-être, les deux passions dominantes de l'être humain, il faut encore citer, comme motifs d'envoûtement, la recherche de la puissance et celle de l'argent, bien que ces deux dernières risquent trop souvent de se confondre avec la haine, que l'on éprouve forcément pour celui qui détient le pouvoir ou la fortune convoités...

1.2.1. Le dangereux choc en retour

Contre les sorciers qui enclouent leurs ennemis, il existe une riposte: c'est de «revirer le clou », c'està-dire de retourner le maléfice contre son auteur, autrement dit de déclencher le « choc en retour». Ce choc en retour est la grande peur des sorciers. Pour l'éviter, ils prennent toutes sortes de précautions. Aussi - nous dit Roland Villeneuve dans son livre sur l'envoutement, bref, mais substantiel :
« le véritable envoûteur doit agir dans le plus grand secret, à l'abri des oreilles indiscrètes et des yeux fureteurs, capables de déceler les charmes ou de découvrir des images transpercées».

Cependant, il n'est pas toujours assuré de cet incognito: il est le plus souvent connu comme étant sorcier, on se méfie de lui, on épie ses faits et gestes, ses paroles, ses regards, et, à la moindre alerte, ceux qui se croient menacés d'envoûtement par lui font appel à un contre-envoûteur, s'ils ne sont pas capables de pratiquer eux-mêmes le contre-charme.
«Donc - poursuit Roland Villeneuve - pour réussir, l'opération doit être triangulaire, c'est-à-dire prévoir, en dehors de la victime désignée, un animal ou un objet (récipient rempli d'eau, boule de cire, plaque de gélatine) apte à recevoir, en retour, le fluide émis par un contre-envoûteur. Cet animal, cet objet, agissent à la manière d'un paratonnerre ou d'un bouclier. Si le magicien est pris sur le fait, il peut se libérer en leur transmettant le maléfice, ce qui plus d'une fois s'est produit».

Ce détournement du sortilège s'appelle« transfert »: nous allons y revenir un peu plus loin, à propos du désenvoûtement. Celui qui a négligé la précaution élémentaire de prévoir un transfert, c'est-à-dire d'exécuter une opération triangulaire (envoûteur, envoûté visé et envoûté de secours), risque gros pour sa santé, voire pour sa vie. Les démonologues de jadis nous racontent maintes histoires de chocs en retour foudroyants. C'est Jean Bodin, auteur d'une Démonomanie des Sorciers, parue en 1580 et souventes fois rééditée, qui nous offre ce récit, dont on se doit de préciser qu'il est de seconde main, puisque Bodin n'a pas assisté à l'événement :
« J'ai su (par d'autres, et quels autres?) qu'au jugemen d'une sorcière, qui était accusée d'avoir ensorcelé sa voisine en la ville de Nantes, les juges lui commandèrent de toucher celle qui était ensorcelée. ( ... ) Elle n'en voulait rien faire, on la contraignit, elle s'écria: Je suis morte! Elle n'eut pas (plutôt) touché la femme qu'elle avait ensorcelée que soudain elle (la victime) ne guérit et la sorcière tomba raide morte. Elle fut condamnée à être brûlée morte. »
Quel que soit le degré d'authenticité de cette tragique anecdote, il n'empêche que l'opinion courante attache une grande importance au choc en retour, et que l'on peut adopter l'opinion de Roland Villeneuve, qui est le reflet de ce que tous pensent disent et écrivent sur ce sujet:
« Mis en quelque sorte à découvert, ils (les sorciers) se heurtent à une volonté plus forte que la leur: celle de l'envoûté lui-même ou du contre-envoûteur auquel il a pu faire appel. Pressés d'obtenir le résultat qu'ils recherchent, les jeteurs de sorts ne tiennent pas compte de la fatigue et des dépenses nerveuses que leurs opérations entraînent. » ; il en est parfois de même par les guérisseurs qui sont atteint par la maladie dont ils ont débarrassés leur patient...
Et d'ajouter :
« Prendraient-ils même d'infinies précautions, qu'ils n'échapperaient Pas à un contre-envoûtement bien fait,»
Et de citer le Dr Robert Teutsch, auteur lui aussi, il y a un demi-siècle d'un livre sur L'Envoûtement:
« Ils meurent en ce cas d'un seul coup, tombant comme une masse ou tordus pendant quelques instants de convulsions étranges, s'agitant et hurlant comme certains possédés, ou bien encore, ils sont minés pendant quelques semaines après le contre-envoûtement par un mal sournois, incompréhensible à tout le monde, mais qu'ils comprennent quelquefois parfaitement et qui, dans un délai de quinze jours à deux mois, rarement plus long les mène inéluctablement à la mort, une mort contre laquelle, annihilés, écrasés, ils n'ont même plus la force de réagir. »

S'agit-il réellement d'un mal provoqué par le choc en retour, ou d'une maladie psychosomatique, dont il faudrait rechercher la cause dans un phénomène d'auto-suggestion ? Tous les sorciers connaissent en effet la théorie du choc en retour, tous y croient, tous s'y attendent plus ou moins, et se trouvent ainsi en état de moindre résistance physique: chez eux, le «terrain » est prêt pour accueillir et faire fructifier le moindre germe pathogène! Que conclure de cette description faite par le Dr Teutsch des dangers du choc en retour? Qu'il vaut mieux, par simple prudence égoïste s'abstenir de toute tentative d'envoûtement sur qu que ce soit, homme ou bête: elle pourrait se retourner contre son auteur...

1.2.2. Le cercle magique

Chez les Aryens primitifs (du plateau d'Iran et de l'Inde) est né l'autel de forme circulaire, qui est l'image rituelle du cercle. L'homme est censé être au centre de ce cercle, qui est l'univers. Puis apparait, le mandala image également circulaire, expression d'un concept cosmologique: c'est un diagramme géométrique centré autour d'un axe et orienté. Il figure la projection d'un cosmos divin à trois dimensions sur une surface plane, c'est-à-dire seulement à deux dimensions. Il n'est plus que la figuration symbolique de l'autel primitif, lui-même symbole de l'univers spatial et du temps cosmique, et placé au centre d'une aire ronde consacrée, sorte de «cercle magique». Telle est l'origine lointaine du cercle magique de nos petits sorciers des campagnes berrichonnes ou normandes, qui, cela va de soi, sont bien loin de s'en douter... Tous les magiciens le connaissent, ce cercle, et s'en servent. On le trace, réellement ou fictivement, avec la baguette ou le bâton, avec du charbon de bois, avec de l'eau bénite, tout en prononçant une incantation. Le cercle isole - comme une cage de Faraday le fait pour le courant électrique -, protège celui qui entreprend les opérations magiques: les entités néfastes ne peuvent franchir cette ligne, sauf celle que le magicien a invitée à y entrer. Ce démon est alors à la merci de l'homme, il ne peut plus rien lui refuser, il ne peut plus lui nuire, tant que le magicien est à l'intérieur du cercle. Pouvoir réel ou imaginaire? Pouvoir du à l'auto-suggestion? Ou pouvoir dù réellement aux radiations psychiques émises par le magicien. Le cercle magique est considéré comme une excellente parade et une précaution indispensable à qui pratique la magie. Mais comme on ne peut passer toute sa vie entouré d'un tel cercle, il ne peut protéger contre le choc en retour.

1.2.3. Le philtre dAmour et son antidote

Dans beaucoup de légendes et de mythes, il est question de philtres d'amour, qui sont des breuvages magiques destinés parfois a détruire l'amour, mais le plus souvent à l'inspirer. Ce sont quelquefois de savantes sorcières qui les composent selon des recettes plus ou moins compliquées, faisant longuement bouillir dans leurs chaudrons des ingrédients, végétaux ou animaux, se livrant à une espèce d'alchimie dont le résultat est une liqueur plus ou moins appétissante, mais d'un effet irrésistible sur l'homme ou la femme dont on veut capter l'amour. La mythologie grecque en offre maintes descriptions.

Plus près de nous, l'Affaire des Poisons est un exemple type de la survivance du philtre, sous la forme de « poudres d'amour », au demeurant des drogues assez proches du poison, et qui rendirent Louis XIV malade. Philtre vient du latin philirum, lequel vient directement du grec philtron, lui-même dérivé du verbe philein, dont tout le monde sait qu'il veut dire « aimer ». Philtron est donc un moyen de se faire aimer, un moyen aux avatars divers. Philtron peut donc signifier: attrait, charme, incantation et breuvage magique. C'est ce dernier sens qui se retrouve dans notre substantif « philtre », bien qu'il y ait des variétés de philtres non liquides, se présentant sous la forme de « poudre ». Mais ces poudres se versant et se diluant dans un mets liquide - vin ou soupe - on en revient tout de même finalement au breuvage. Chaque sorcier, chaque magicien avait sa formule, mais on y retrouvait presque toujours cettains ingrédients considérés comme liant sûrement d'amour celui - ou celle - qui l'absorbait. A savoir des sécrétions sexuelles, que ce fût du sperme, du sang menstruel, ou de l'hippomane. Les grimoires nous rebattent les yeux et les oreilles de ce mirifique hippomane. Qu'était-ce donc?
Un fluide muqueux qui coule de la vulve des cavales en chaleur, ou que l'on trouve encore sur le front des poulains nouveau-nés, et qui a, cela va de soi, la même origine. On le fait sécher, on le réduit en poudre, et on le mélange à d'autres matières, telles que le sang de celui qui désire se faire aimer. On peut même l'employer seul, son effet étant extraordinaire, si, du moins, l'on en croit le gros traité sur La Magie naturelle, de Jean-Baptiste Della Porta, qui recommande aux amoureux de le mettre dans un vin, ou un potage, « au moyen de quoi ils rendent l'esprit forcené plus doux et apprivoisé, induisant une ardeur d'amour semblable à celle que les jouvenceaux lascifs éprouvent au commencement du printemps ». Et notre maître ès magie d'ajouter que ceux « qui auront savouré un tel brouet », brûleront désormais d'un amour réciproque, ce qui est une rare merveille! L'hippomane entrait dans des mixtures où se retrouvaient certaines herbes - cueillies à certaines époques, comme la nuit précédant la Saint-Jean -, des arêtes du poisson rémora - cet étrange commensal des requins et des baleines, auquel les Anciens attribuaient le pouvoir de freiner la marche des navires -, des os de grenouilles, des rognures d'ongles et aussi d'autres ingrédients moins ragoûtants: terre prélevée dans un cimetière, poils arrachés autour des organes génitaux, sang menstruel, vers de terre mêlés de sperme, bave de crapaud, salive et même urine:

Je t'ai fait prendre mon eau
Afin que tu ne voies plus que par mes yeux
..................................................................................
Je te donne ma salive
..................................................................................
Pour que tu oublies tout,
Même ton frère de père et de mère! »

proclame un poème marocain.

Un antidote du philtre d'amour: nouer l'aiguillette :

Le nouement de l'aiguillette (rendre impuissant par maléfice) est une pratique de sorcellerie que les demonologues de jadis ont très souvent mentionnée et accusée dans des cas relevant aujourd'hui de la médecine ou de la psychanalyse.

Comment les sorciers s'y prennent-ils donc pour obtenir l'impossibilité de consommer le mariage ? Tout simplement, en nouant une verge de loup d'une corde, d'une Ficelle, d'une lanière, d'un lacet, tandis que se déroule la cérémonie du mariage, au moment précis où les nouveaux époux se promettent une réciproque et éternelle fidélité, et passent les alliances à leurs doigts. Heureusement, il existe plus d'un remède contre cette sorte d'envoûtement : frotter de graisse de loup le seuil et les linteaux de la chambre nuptiale, suivant une très vieille recette, puisqu'elle se trouve déjà dans Pline l'Ancien, dont on sait qu'il fut victime de la terrible et calamiteuse éruption du Vésuve, en l'an 79, celle qui engloutit Herculanum et Pompéi. Au Moyen Age, on préconisait encore d'uriner, au préalable, à travers ou sur les alliances, ou bien - et c'est plus simple et surtout plus propre - de mettre du sel dans sa poche (pour le Fiancé); ou bien - toujours pour le futur époux - de porter un anneau dans le chaton duquel est enchâssé l'oeil droit d'une belette! L'homme peut encore porter, le jour du mariage, deux chemises à l'envers et mises l'une sur l'autre. Mais - et c'est une question qu'on se pose souvent pourquoi ce maléfice se nommait-il «nouement de l'aiguillette»?
Qu'est-ce dont qu'une aiguillette, ou, plutôt, qu'était-ce donc pour nos aïeux du Moyen Age ou de la Renaissance? Tout simplement, les aiguillettes étaient des ornements, des fioritures, agrémentant le bout des lacets qui fermaient la braguette des culottes d'homme. Peut-être par extension, le substantif «aiguillette» en était-il arrivé à signifier le membre viril lui-même. Le nouernent de l'aiguillette relève de la magie imitative (« tout semblable appelle le semblable »)
« Ce que la sorcière nouait entre ses doigts devait se nouer chez la victime», a dit très justement Jean Vartier, dans son livre sur le sabbat, où il nous apprend qu'« une survivance particulière de cette pratique (de contre-envoûtement) voulait qu'à Martigny-lès-Lamarche (Vosges), au début du XIXe siècle, on enchaînât ensemble les mariés par le milieu du corps, au moment de la bénédiction nuptiale. Cette chaîne, très longue, était en cuivre argente ».
Et d'ajouter que, «jusqu'au XXe siècle, a subsisté dans le rituel de la messe de mariage de plusieurs évêchés de l'Est de la France, une oraison destinée a conjurer les maléfices qui pourraient s'opposer à la fécondité du foyer».

Jean Vartier assure avoir encore entendu cette oraison spéciale à la basilique Notre-Dame de Sion, en 1950, « tandis que deux enfants de choeur tendaient au-dessus des mariés un drap blanc, nommé le «poèle», apparemment destiné à détourner les sorts ».

Assez proche du nouement de l'aiguillette, est le chevillement - ou ligature - mais sans aspect érotique. Il ne concerne que le fonctionnement de l'urètre, il empêche la victime d'uriner.
«On pratique aujourd'hui bien fort une autre espèce de maléfice fort dangereux, qu'on appelle cheviller. Par cela, on empêche les personnes de faire leur eau, j'en ai vu qui en sont morts», lit-on dans un livre, vieux de quatre siècles, et traitant De l'imposture et tromperie des diables. Il devait s'agir d'anurie, à moins que ce ne fût de rétention d'urine: on sait que la maladie, pour les mentalités «magiques», est causée par maléfices et sortilèges. Selon la tradition de ce temps-là, le sorcier obtenait le chevillement en plantant une... cheville dans un mur. Et, comme toujours, certains savaient pratiquer un contre-envoûtement: il leur suffisait de cracher sur leur soulier droit avant de se chausser.

1.3. Amulettes et Talismans

« L'amulette, le talisman (a écrit Jean Marquès- Rivière dans son ouvrage très documenté et qui fait autorité: Amulettes, Talismans et Pantacles) se rencontrent partout, toujours en tous lieux et en tous temps: aucune forme religieuse, aucune civilisation, aucune société n'en est exempte. C'est un MOMENT de la conscience humaine, lié sans nul doute au rite magique figuré. »
« Les talismans - écrit de son côté Yves Gaël, dans Talismans dévoilés - ont toujours été considérés comme un élément de jonction avec l'ABSOLU, comme un lien tangible entre l'Homme et l'Univers. »
C'est l'un des instruments et supports de la magie.

Ont-ils un effet en eux-mêmes? On commence à en douter. Peu importe. Ce qui compte, c'est la suggestion (ou l'auto-suggestion) imposée au subconscient par la foi en ce support: «Que l'objet de votre foi soit vrai ou faux, vous obtiendrez les mêmes effets», a dit Paracelse. C'est pourquoi « un talisman ne doit pas être considéré, comme beaucoup le croient, comme un Porte-bonheur; c'est uniquement un condensateur de fluide qu'il faut aider par un effort personnel. Le talisman a pour but unique de soutenir et de faciliter l'effort et le mérite de celui qui le possède, au moment voulu », a encore écrit Y. Muchery, dans un livre intitulé: Magie, moyens pratiques d'action occulte. C'est « seulement un prolongement concret à votre intention spirituelle», poursuit Yves Gaël. Ce qui vaut pour le talisman vaut aussi bien pour l'amulette, ces deux termes désignent des objets dont les buts généraux sont les menues, mais dont les objectifs particuliers diffèrent, comme on va le voir. Ce sont donc tous les deux des objets magiques et bénéfiques que l'on porte sur soi, mais l'action de l'un est inverse de celle de l'autre: celle de l'amulette est passive, elle protège du mal; celle du talisman est active, elle procure bonheur et réussite. On n'est pas d'accord sur l'origine du substantif « amulette »: pour les uns, il vient du latin amuletum, pour les autres de l'arabe hemel, qui veut dire «porter»... Quant au mot «talisman», on lui trouve son étymologie dans le persan tilisman, qui signifiait «figures magiques», lui-même dérivé de l'ancien substantif grec telesma, qui voulait dire « rite». Depuis la nuit des temps, on a fait appel à la protection des amulettes: dès le Paléolithique supérieur, soit il y a quelque 25000 ou 30000 ans, sinon plus, on rencontre sur, ou auprès des restes de squelettes, des coquillages percés, des colliers de canines de rennes, dont l'usage ne fait plus aucun doute pour les préhistoriens: c'étaient des amulettes protectrices. C'est d'ailleurs - comme on le verra plus loin - dans ce souci qu'il faut chercher l'origine des bijoux et joyaux, devenus, depuis, simple luxe d'ornement et de parure. Plus loin aussi - lorsque nous parcourrons ensemble les fameux grimoires du Grand et du Petit Albert - nous ne manquerons pas de découvrir diverses espèces d'amulettes, parfois d'un genre assez inattendu, dont beaucoup ont pour but d'éloigner de celui qui les porte les maléfices des jeteurs de mauvais sorts... le lot «amulette» a de nombreux synonymes: fétiche, gri-gri, mascotte, porte-bonheur, etc...

Il en existe encore aujourd'hui, par exemple en Normandie où une dent de taupe dans un sachet attaché au cou d'un bébé facilite - parait-il - sa dentition; très vieille recette, d'ailleurs, puisque déjà connue au temps de Pline l'Ancien, qui l'a rapportée dans son Histoire Naturelle, cette somme des connaissances scientifiques de l'Antiquitë gréco-latine, au 1er siècle de notre ère. Evidemment, Asie, Afrique, Océanie, Amérique du Sud demeurent toujours, avec leurs civilisations dites primitives - C'est-a-dire magiques, au lieu de scientifiques et techniques, continue celles des Occidentaux - des lieux privilégiés et fertiles pour qui recherche amulettes, talismans, envoûtement, et contre-envoûtement, et, d'une façon générale, tout ce qui est du domaine de la magie et de la sorcellerie.

Donc, à l'encontre de l'amulette, le talisman est actif: il porte bonheur ou bien il procure un pouvoir supranormal, comme la lampe d'Aladin. Mais tout le monde n'ayant pas la chance de tomber par hasard sur cette lampe, eh bien! on a jugé plus sûr de confectionner des talismans au moyen d'une fabrication magique et d'une opération volontariste de l'esprit. Généralement on lui assigne un but défini de protection, et de pouvoir, laissant de côté ceux que peuvent fabriquer les magiciens en se servant de leurs recettes et de leurs pouvoirs, nous nous contenterons de signaler des objets (plus ou moins courants) auxquels sont attachées des vertus de talismans :
un morceau de corde de pendu (ce qui est moins facile à se procurer à Paris, au XXe siècle qu'au temps de Villon, chantant le gibet de Montfaucon),
un fer à cheval trouvé par hasard (lui aussi devenu rarissime, les chevaux vapeur n'étant pas ferrés!),
un grillon séché (de plus en plus insolite dans nos cités de béton),
un poil d'éléphant (a condition de soudoyer un employé de cirque ou de zoo),
un trèfle à quatre feuilles (pour cela, profitez de vos vacances à la campagne, irais n'y comptez pas trop sur la Côte d'Azur ou sur celle du Languedoc-Roussillon, le pompon d'un béret de marin assez difficile également à se procurer),
la queue d'un lézard (il faut être vif et rapide pour attraper ces charmants petits sauriens),
la main de Fatma (à condition d'avoir des relations avec des Maghrébins),
une médaille de saint Christophe (c'est le plus facile, ça se trouve dans le commerce saint-sulpicien, mais on la réserve pour la protection des déplacements automobiles, qui sont, il est vrai, de plus en plus fréquents et dangereux, à moins qu'on ne lui préfère, comme il y a un demi-siècle, les deux fétiches en peluche, dits Némette et Rintiiitin!...)

De plus, il existe des talismans affectés aux signes du zodiaque, et, pour les connaître, il n'est que de parcourir n'importe quel traité d'astrologie, qui nous enseigne quels sont les métaux, les pierres, et les couleurs bénéfiques liés à chacun des douze signes, ce qui nous donne le tableau suivant (avec indication des planètes correspondantes):

Signe
Planète
métal
pierre
couleur bénéfique
Bélier
Mars
fer
rubis
rouge
Taureau
Venus
cuivre
émeraude
bleu et vert clairs
Gémeaux
Mercure
mercure
opale
gris clair
Cancer
Lune
argent
perle fine
blanc
Lion
Soleil
or
diamant
jaune d'or
Vierge
Mercure
mercure
péridot
vert foncé
Balance
Venus
cuivre
béryl rose
rose
Scorpion
Mars et Pluton
fer
grenat
grenat
Sagittaire
Jupiter
étain - améthyste
pourpre
pourpre
Capricorne
Saturne
plomb
onyx
noir
Verseau
Uranus
uranium
améthyste
violet
Poissons
Neptune
palladium
saphir
indigo

La recherche de la protection magique par les talismans a entraîne la prolifération de tout un commerce ce qui ne fait ni plus, ni moins, qu'abuser les braves gens crédules : pierres de ceci ou de cela, croix de ceci ou de de cela, qui mesurent bonheur et réussite, avec, à l'appui, l'histoire d'un homme. - ou d'une femme - qui, paraît-il, jouissent maintenant d'une Prospérité et d'une joie immenses, et inespérées, par exemple d'un homme qui a gagné la grosse somme au tierce, ou au au loto, ou à la Loterie nationale, ou bien décroché l'amour sans nuage avec la femme de ses rèves ! Ajouton,s pour clore cette énumération l'envoi de "chaînes" - sous forme de lettres à la fois rassurantes et menaçantes - qu'il faut recopier etenvoyer à 9, 12 ou ou 24 nouveaux destinataires, et dont I'une - que nous avons nous-même reçue - commence ainsi: « On me l'a envoyée, je vous l'envoie Cette chaîne vient du Venezuela écrite par un légionnaire», et se termine par: « Faites 24 copies, expédiez-les et vous aurez une surprise dans 9 jours» Sinon gare à vous: « Tous les le malheurs vous tomberont dessus» chantage odieux et absurde...

1.3.1. Le pantacle et le pentacle

Variante et plus ou moins synonyme du talisman, le pantacle Selon le Dictionnaire du Diable et de la Démonologie, de Toridriau et Villeneuve, pantacle = émetteur de fluide; outil d'action magique de valeur universelle; à la différence du talisman, qui a « un but défini de protection », il est donc plus général. « On ne saurait le confondre avec pentacle », mot qui vient du grec penté ( =cinq). Le pentacle, ou pentagramme, est l'étoile à cinq branches qu'employait le Docteur Faust dans ses opérations de magie. Si l'on ouvre le grand Dictionnaire des Symboles publié par les éditions Robert Laffont, on y lit ceci:
« Dans les traités de magie, on donne te nom de Pantacle à un sceau magique, imprimé sur du parchemin vierge fait avec de la peau de bouc, ou gravé sur un métal précieux tel que l'or ou l'argent. Des triangles, des carrés, des étoiles à 5 ou 6 branches s'inscrivent dans les cercles du Sceau; des lettres hébraiques, des caractères cabalistiques, des mots latins se dessinent sur ces figures géométriques. Les sceaux sont censés être en relation avec des réalités invisibles, dont ils font partager les pouvoirs, Ils peuvent servir à susciter les tremblements de terre, l'amour, la mort, et toutes sortes de sortilèges. Ils symbolisent, captent et mobilisent à la fois les puissances occultes »

1.3.2. Le Sceau de Salomon

Certains prétendent que ce signe a une grande puissance magique et qu'il remonte - comme son nom l'indique - au célèbre souverain juif, fils de David, et constructeur du Temple de Jérusalem, il a trois millénaires. D'autres y voient un graphisme symbolique, celui de l'hexagone, beaucoup plus ancien, puisqu'il fait partie de ce que les ésotéristes nomment la Tradition et qui serait l'enseignement métaphysique et spirituels (transmis par l'antique Inde védique) de peuples très anciens, disparus et oubliés, tels que celui du continent englouti de l'Atlantide. Nous n'entrerons pas dans le détail des interprétations et significations que l'on peut trouver dans les diverses parties géométriques composant un hexagone : lignes, angles, triangles, avec tête en bas et tête en haut. Nous nous contenterons de redire, avec Yves Gaël - dans son essai Talismans dévoilés - que « l'union de ces deux triangles (hexagone) représente la circulation de la Vie, du Ciel à la Terre, et vice versa. Placée sur un pantacle, entre deux cercles concentriques, cette figure symbolise l'étroite connexion du macrocosme et du microcosme. Pour le bien de l'humanité» (Le microcosme, le c'est l'homme, et le macrocosme, l'Univers).

Dans ces deux triangles égaux et de sens opposé, on peut encore retrouver le fameux aphorisme qui ouvre la «Table d'Emeraude » cf Heroncs Trismégiste, qui dit, " Ce qui est en Haut est comme ce qui est en Bas ", et qui est l'une des clés des alchimistes essayant de réaliser le Grand Oeuvre. Si l'on en croit la légende Salomon avait, grâce à son sceau tout pouvoir sur les esprits de l'Enfer, c'est-à-dire les pouvoirs d'un haut magicien, aussi bien contre les maladies que contre les envoûtements.. Pour tracer cet hexagone, on commence par dessiner au compas un cercle. Puis, avec un rapporteur, on divise le cercle en 6 parties égales (de 60° chacune, la circonférence valant 360°), en marquant chacune d'un point. On joint ensuite les points, d'abord ceux qui délimitent le triangle du haut (points 0, 120, et 240), puis ceux du triangle du bas (60, 180 et 300). On peut utiliser le sceau, soit non cerclé (il faut alors effacer la circonférence ayant servi à la construction), soit cerclé, et, selon les cas, d'un seul cercle, de deux, de trois, ou de six, selon les effets que l'on désire obtenir de cet «hexagramme», dit encore «étoile magique à 6 branches» (le pentagramme, ou étoile à 5 branches est encore appelé «étoile de David»). Mais le véritable sceau de Salomon, celui qui correspond à la tradition juive, est un hexagone sans cercle aux lignes doubles s'entrecroisant en un lacis qui fait passer, tantôt dessus, tantôt dessous, le double réseau desdites lignes. On pense que le sceau original du roi Salomon devait être en or, ou, pour le moins, recouvert d'or. La meilleure façon d'obtenir l'équivalent magique de cet or serait de dessiner le triangle pointant vers le haut, en vert pomme et le triangle pointant vers le bas, en jaune d'or. Mais, au fait, quelle est l'action de ce talisman ? Il permet d'agir, dans l'invisible, sur les éléments pour obtenir une réalisation conforme à ce que l'on envisage, à condition que l'intention soit droite, c'est-à-dire, non nuisible à la vie, de soi ou d'autrui. Si l'intention n'est pas droite, les effets sont automatiquement nuisibles pour l'opérateur, selon la loi du choc en retour. L'intention peut, selon le cas, être spirituelle ou matérielle. A une intention purement spirituelle, s'ajoutent, de surcroît - en prime, a-t-on envie de dire - des effets matériels bénéfiques, ce qui fut le cas précisément, de Salomon, qui eut la «sagesse», les richesses, la puissance politique et la gloire... Généralement, pour se servir de ce sceau, on le pose à plat (horizontal), la pointe du triangle du haut (que l'on aura marqué d'un signe distinctif pour le reconnaître) tournée vers le Nord. Certains lui reconnaissent des vertus toutes spéciales, notamment en agriculture et en arboriculture, ainsi que dans la lutte contre l'insomnie, l'anxiété, la nervosité, et naturellement contre les influences malefiques et l'envoûtement. D'une façon générale, un sceau de Salomon, de 120 mm de diamètre, six fois cerclé, et de couleur or et vert, est presque toujours bénéfique: on le place à la verticale dans une pièce de la demeure.

1.3.3. Phylactères et carré magique

Si notre actuelle magie attache un grand prix aux caractères hébraïques, il est naturel que l'ancien peuple de Moïse, de David et de Salomon ait également donné une haute importance à leur valeur symbolique. De là naquirent les phylactères: sur des morceaux de parchemin vierge, ou sur des tablettes, étaient inscrites certaines lettres saintes, voire certains versets sacrés de la Thora. L'on attachait ces phylactères soit sur le front, soit au bras droit, ce qui était assez peu pratique. Aussi les plaçait-on souvent dans un petit tube métallique ou dans des tubes de verre ressemblant à nos reliquaires. Au début, c'étaient beaucoup plus qu'une magie protectrice, c'étaient des prescriptions du Deutéronome (qui est une sorte de code mosaïque) :
« Tu les ( = les commandements de Dieu) attacheras sur ta main en guise de signes, tu les porteras comme un bandeau frontal entre les yeux. Tu les inscriras sur les poteaux de ta maison et sur tes portes», pour que nul ne les oublie, pour que nul ne les ignore.

Successeurs des adeptes de la religion de Moïse, les premiers chrétiens se servirent, quant à eux, du signe de la Croix comme d'un talisman, avec la première lettre du mot Chrestos, encadrée par l'Alpha et l'Oméga de l'alphabet grec, ils créèrent un graphisme réputé protecteur. Utilisant encore le symbolisme d'un certain nombre d'objets et d'êtres vivants, tels que le poisson, la colombe, la palme, le pain, ils en gravèrent la représentation sur les murs des Catacombes, ou les portèrent sur eux, sous forme de sceaux, de plaques, de broderies, aussi bien pour se reconnaitre entre eux, que pour en éprouver l'action bénéfique... Quelques siècles plus tard, nous rencontrons, chez les Arabes, le Carré magique, où nombres et lettres ont - comme chez les Hébreux - une valeur sacrée, et dans lesquels les sommes des nombres des colonnes verticales, horizontales, et des diagonales doivent avoir valeur égale. Les Arabes ne sont pas les seuls à avoir imaginé et construit des carrés magiques. Il en existait également chez nous jadis, et l'on cite souvent celui-ci, qui peut se lire dans tous les sens:

Ici encore entrait en jeu une numérologie sacrée et magique, basée sur le chiffre attribué à chaque lettre de l'alphabet latin. Partant de là et en extrapolant audacieusement, on pourrait enarriver à trouver caractère magique et talismanique à nos actuels « mois croisés », voire à ce jeu qui fait, en ce moment, fureur: le scrabble!
(le livre source a été écrit par son auteur dans les année 70)

Si l'on en croit un grand humaniste du XVIe siècle. qui fut à la fois un lettré, un savant, un astrologue, un kabbaliste de haute réputation, et même l'inventeur d'un type de suspension universellement connu et employé Jérôme Cardan, le carré magique sauva miraculeusement de la mort un Lyonnais, en 1556: mordu par un chien enragé, cet homme mangea trois croûtons de pain sur chacun desquels on avait gravé ledit carré. Cette formule mystérieuse et bénéfique est, parait-il, encore employée par des guérisseurs, des rebouteux de campagne en Allemagne, en Yougoslavie, en Hongrie, au Portugal et jusqu'au Brésil. Que signifie donc cette suite de mots ? Ils sont latins, sauf «AREPO», inconnu des lexiques, mais qui pourrait être «OPERA» à l'envers. Et la traduction donne à peu près ceci: « Le semeur (Arepo?) tient par son travail les roues». Incompréhensible, n'est-ce pas? On a d'abord constaté la présence de cette formule dans de vieux textes, par exemple dans une bible carolingienne, dans un rituel copte du VIIe siècle, dans une bible byzantine, sur un crépi du IIIe siècle, en Angleterre, et dans les bureaux d'une garnison romaine à Doura-Europos, au bord de l'Euphrate, en Mêsopotamie, où il remontait à l'an 230. On n'était pas plus avancé. Il fallait tenter à nouveau de la décrypter, et un savant allemand en arriva à cette interprétation:

Il s'agit d'un anagramme au sens clair et simple: c'est le début de la principale prière chrétienne. Mais il subsiste des a) et des o) en surplus relégués au bout de chacune des branches de la croix. Eh bien! ce sont l'Alpha et l'Oméga, symbole de Dieu selon saint Jean, le commencement et la fin de toutes choses... Le problème semblait résolu, quand on découvrit un nouveau carré magique, à Pompéi, remontant donc au moins à l'an 79 de notre ère. Or, on ne croit pas que cette petite ville de luxe et de débauche ait jamais donné asile à une communauté de chrétiens. Mais il peut en être venu, plus tard, qui aient gravé des grafiti, puisqu'on y a repéré l'inscription: «Sodome et Gomorrhe». Soit! Ce serait donc bien un texte chrétien. Mais on butait toujours sur l'incompréhensible «AREPO». C'est alors que le grand historien du monde romain, Jérôme Carcopino, est intervenu: AREPO est un mot gaulois. signifiant « charrue». On peut donc lire ainsi la traduction. «Le cultivateur, à sa charrue, tient avec soin les roues ». Et le carré viendrait de la région lyonnaise, où fut précisément inventée la charrue à roues (rotas), région qui fut également, et très tôt, un grand foyer de chrétienté. Primitivement, c'est donc un carré religieux, mystique, qui, parti de Gaule, a fait son chemin, peu à peu, sur toute la terre, comme signe secret de ralliement, avant d'être ravalé au rôle d'amulette, de recette de guérison, employé par les sorciers... Plus récemment encore, par les travaux du R.P. Daniélou, on a appris que la Charrue signifiait symboliquement la Croix, ce qui autoriserait une seconde traduction, non plus à la lettre, mais dans l'esprit, une traduction sacrée, si l'on veut:

« Le Sauveur, sur la Croix, tient par son sacrifice, les roues (de notre destin)»

Interprétation d'autant plus admissible que des découvertes, aux alentours de 1950, ont permis d'admettre l'existence de communautés chrétiennes à Pompéi et Herculanum : saint Paul aurait pu y visiter des fidèles dès l'an 62...

Le carré magique a resurgi, récemment, dans une secte qui a fait beaucoup parler d'elle: les «Témoins du Christ », de Georges Roux, le facteur de Montfavet. Sur une affiche de la secte, on pouvait lire les cinq mots fatidiques...

1.3.4. Le pouvoir de la salive

Les anciens de nos villages se souviennent encore du temps - donc pas très lointain - où la sagefemme crachait sur le nouveau-né au moment de sa venue au monde pour conjurer le mauvais sort. D'Irlande, nous viennent deux coutumes de crachat. L'une - dans la partie ouest du comté de Cork veut qu'on crache par terre devant toute personne ayant la réputation de ne pas être heureuse, pour éviter la contagion. Une autre - dans la partie ouest du comté de Galway - recommande de cracher sur un nouveau-né, quand on le voit pour la première fois surtout si on le complimente sur sa bonne mine: les sages-femmes irlandaises pratiquent le même usage que leurs consoeurs des campagnes françaises. Toujours en Irlande, lorsqu'on loue la beauté ou la santé d'un animal de la ferme, il sied de cracher sur la bête, en disant: «Dieu le garde!» En France, aujourd'hui, cette coutume magique - qu'on aurait envie de rabaisser au rang subalterne de superstition - tend à disparaitre. Et, pourtant, elle demeure, mais cachée, réduite à un geste à peu près inconscient: le paysan crache dans ses mains avant de prendre le mancheron de sa charrue, le bricoleur avant de saisir le manche de sa scie, le pêcheur à la ligne sur le ver après l'avoir fixé à l'hameçon, et le boxeur dans ses mains avant d'enfiler ses gants de combat... Enfin, dernier avatar du crachat: les gosses qui disent: « Je le jure», et qui crachent au loin pour corroborer leur serment. La salive possède-t-elle donc un pouvoir occulte de protection? Il le semblerait, ne fût-ce que du point de vue physiologique : outre son action digestive - grâce à une diastase, la ptyaline - elle en a une autre, antiseptique et cicatrisante. Si la plupart d'entre nous paraissent l'ignorer, les animaux, eux, le savent : une bête blessêe lèche consciencieusement et longuement sa plaie, obtenant souvent par ce moyen une guérison rapide, dont nous demeurons étonnés, comme nous le sommes en apprenant le comportement, à première vue, étrange, de l'abbé Boulian : lorsque, vers 1860 il dirigeait «l'oeuvre de Réparation» qu'il avait fondée avec Adèle Chevalier, il lui arrivait de cracher dans la bouche d'une femme tourmentée par le Démon, pour l'exorciser. Plus étrange encore, était de faire boire à une autre de ces femmes «possédées» son urine mélangée à celle de la soeur Adéle Chevalier, et encore à une autre, de lui faire appliquer des cataplasmes de... matières fécales! Il est vrai que l'urine humaine est censée avoir un pouvoir protecteur contre les démons (elle est dite «démonifuge»), et qu'en Ecosse - par exemple - les excréments des animaux ont la même réputation, tant et si bien que les fermiers écossais remplissent de l'urine d'une bête maléficiée - ou soidisant telle - un flacon qu'ils bouchent hermétiquement et qu'ils conservent avec soin comme contre-charme. A la naissance d'un veau, ces mêmes paysans lui barbouillent la bouche de bouse maternelle, pour empêcher les jeteurs de sorts d'avoir aucune prise sur le jeune bovin...

Alors, n'est-ce pas? pourquoi l'abbé Boulian n'aurrait-il pas exorcisé de la même façon ses possédées?

1.3.5. Les reliques

Elles consistent en parties du corps d'un saint (en « restes », selon l'étymologie), en objets ayant été à son usage ou à son contact, ou encore ayant servi à son supplice. Elles sont conservées et vénérées religieusement. Elles donnent parfois occasion à des pèlerinages aux églises qui les renferment. Enfin, elles en sont arrivées à être considérées comme de véritables portebonheur, tel ce fragment de la vraie croix enchâsse dans la monture d'une pendeloque de perles et de saphir, qui constitue le célèbre talisman de Charlemagne. En réalité, ce bijou est un reliquaire, mais il parait que l'Empereur « à la barbe fleurie » le portait sur sa poitrine, et même qu'on l'inhuma avec, puisque, lors de son exhumation, ordonnée par Othon III en l'An Mille, on retrouva ce pieux et magnifique joyaux. Il demeura ensuite au « trésor» de la cathédrale d'Aix-la Chapelle, jusqu'en 1804, avant d'arriver - après pas mal d'aventures et de pérégrinations - jusqu'au trésor de la cathédrale de Reims, où il est placé entre la Sainte Ampoule et le calice de saint Remi. Mais, pour des raisons juridiques, l'archevêché rentras ne tient pas trop à attirer l'attention sur cette relique : elle pourrait, en effet, être revendiquée par Aix-la-Chapelle! Charlemagne n'a pas été le seul à porter sur lui de saintes reliques. On pourrait, sans peine, citer d'innombrables autres exemples de personnes - de toutes les catégories sociales, de toutes les situations - qui en font autant avec un fragment d'os, un cheveu, un bout d'étoffe d'une robe monastique, leur attribuant un grand pouvoir de protection, contre, cela va de soi, les entreprises du Malin.

1.3.6. Charmes et contre-charmes

Charmes et contre-charmes Souvent les amulettes renfermaient des charmes écrits. «A condition qu'ils ne contiennent rien de faux, ni de suspect », le grand théologien médiéval saint Thomas d'Aquin en acceptait l'usage: c'étaient, en effet, parfois des sortes de prière, comme nous allons en rencontrer très bientôt, et dont le but était de guérir une blessure. Selon les dictionnaires, charme est synonyme de: envoûtement, ensorcellement, sortilège, enchantement; c'est - si l'on en croit ce vieil incroyant de Littré - « l'effet prétendu d'un art magique qui change l'ordre naturel » C'est aussi l'amulette qui provoque cet effet magique. Charme et amulette se trouvant souvent réunis, il y eut, peu à peu, confusion entre les deux : la différence entre une amulette on ne peut plus profane et un charme religieux est parfois infime. Et celle entre ce qu'on appelle charme et ce qu'on nomme contre-charme est des plus malaisées à déterminer. Pour ce qui est de l'origine du mot «charme», il faut la chercher dans le latin carmen, en son sens de formule magique, incantatoire. C'est donc, avant tout, une formule d'incantation. Le but du contre-charme - comme le laisse entendre le mot - est de protéger contre les charmes nuisibles, ceux des sorciers et des sorcières. Le type principal de ces contre-charmes est la prière, ou encore des citations de textes tirés de la Bible, par exemple, le Psaunie 91: «Il est bon de louer le Seigneur, et de chanter à l'honneur de votre nom, Très-Haut. ( ... ) Si les méchants croissent comme l'herbe, si tous les artisans du mal s'épanouissent, ils sont toutefois destinés à une perte éternelle, tandis que vous, Seigneur, vous êtes le Très-Haut pour l'Eternité. Car voici que vos ennemis, Seigneur, vos ennemis vont périr, voici que vont être dispersés tous les artisans du mal... » On utilisait aussi ce bref passage du prophète Zacharie : « Usage du Seigneur dit à Satan: "Que le Seigneur te confonde, Satan, que le Seigneur te confonde, lui qui a fait de Jérusalem son élue" ».

On employait également des charmes pour éloigner ou réduire à néant les inconvénients les plus divers. Si les puces vous harcelaient, il vous suffisait de dire: « Och! Och! » Si c'était une névralgie dentaire qui vous taraudait la tête, vous n'aviez qu'à prononcer: «Onasages ». Pour éloigner la dent des chiens, vous disiez ces trois syllabes, qui semblent échappées d'une comptine: «Hax, pax, max». Il en existait même un qui avait le pouvoir de faire redescendre, illico et presto, Messire le Diable dans son rouge Enfer, et c'était cette phrase de la messe: «Per ipsum et cum ipso et in ipso», ponctuée, comme il se doit, d'un large signe de croix... Charme et amulette étant en maintes occasions intimement unis, et à peu près indissociables, on éprouve la même difficulté à se prononcer sur le caractère de certains charmes, dont quelques-uns ont un but maléfique, telle la « main de gloire».

1.3.7. « Main de gloire » - « Charmer » une blessure - « Rite des gardes »

La « main de gloire»

Si l'on en croit le jésuite Martin Antoine Del Rio, qui, au début du XVIIe siècle, faisait grande autorité en matière de lutte contre magiciens et sorciers, de voleurs employaient, comme « charme » pour engourdir et figer leurs victimes et pouvoir ainsi se livrer en toute quiétude à leurs voleries, ce que l'on nomme une « main de gloire ». Pour la confectionner, P.V. Piobb nous a transmis cette recette:

«Prendre la main coupée d'un pendu. La plonger presque fermée dans un vase de cuivre, contenant du zinc, du salpêtre et de la substance vertébrale d'un animal. Faire un feu clair de fougères sous le vase, en parfumant la flamme d'essence de verveine, ou en mélangeant de la verveine à la fougère. Dessécher ainsi la main. Composer ensuite une chandelle avec de la graisse de phoque et du sésame de Laponie. La placer dans la main (...) Cette main de gloire s'utilise dans le cas de recherche de trésors suivant les méthodes de la radiesthésie», précise Piobb. Mais, comme on vient de le voir, elle a encore d'autres usages, puisqu'elle permet aux voleurs de s'emparer de trésors déjà découverts... Ce flambeau macabre doit etre allumé dans une église, à la veilleuse même du tabernacle. Celui-ci qui s'en sert doit veiller avec le plus grand soin à ce que le vent n'en éteigne pas la flamme pendant qu'il se rend à l'endroit où se trouve le trésor à découvrir, ou les objets de valeur à dérober : sinon, il mourra dans l'année! Le démonologue et féroce chasseur de sorcières Nicolas Remy - dans ses Trois Livies de demonolatrie, publiés à Lyon, en 1595 - raconte que deux sorcières, jugées à Guermingen - en Alsace - en l'an 1588, déterraient des corps pour préparer des mains de gloire. Et il ajoute que, tandis que brûlait leur chandelle noire, elles pouvaient empoisonner ceux qui leur déplaisaient... Selon le Petit Albert, on peut neutraliser les effets de la «main de gloire» en enduisant, au moment de la canicule, le seuil de sa porte d'un onguent fait de graisse de poule blanche, de fiel de chat noir et de sang de hibou: voilà une parade fort simple contre les cambrioleurs! Malheureusement, ils ont, aujourd'hui, d'autres moyens que la « main de gloire »...

Comment on «charme» une blessure

Le 7 mai 1429, Jeanne d'Arc est blessée à l'attaque de la bastide des Tourelles, qui commande le pont d'Orléans. Elle a reçu une flèche qui lui a traverse l'épaule. Elle est tombée de son cheval. On l'a portée au pied d'un arbre. Des soldats lui offrent de «charmer» sa blessure. Pieusement, elle s'y refuse, On soigne la plaie avec un cataplasme de lard frais et d'huile d'olive, on met dessus un pansement. Le soir tombe. Jeanne se lève soudain, et, cahin-caha, elle va s'agenouiller et prier dans une vigne, un peu à l'écart...

En quoi consiste donc l'action de «charmer» une blessure ? Nous allons le demander à Albert le Grand, qui vivait au siècle précédant celui de Jeanne. Après nous avoir expliqué comment les toiles d'araignée appliquées sur une plaie arrêtent l'hémorragie - recette de bonne femme dont on usait encore il n'y a pas si longtemps, et dont on use peut-être encore aujourd'hui - il raconte comment il a vu «charmer» une blessure. Le corps traversé de deux coups d'épée incurables, l'homme est moribond. L'opérateur se noce la bouche avec de l'eau-de-vie, puis avec de l'eau de rose. Il lave les plaies avec de l'eau de plaintain. Il place sa bouche près de l'une des blessures pour atteindre celle-ci, aussi bien par son souffle que par ses paroles et prononce ces mots, faisant un signe de croix sur la chair du mourant a lit fin de chaque phrase:

«Jésus-Christ est né - Jésus-Christ est mort - Jésus-Christ commande à la plaie que le sang s'arrête - Jésus-Christ commande à la plaie qu'elle se ferme - Jésus-Christ commande à la plaie qu'elle ne fasse ni matière, ni puanteur - Ainsi qu'ont fait les cinq plaies qu'il reçut en son saint corps - Epée, je te cornmande, au nom et par la puissance de Celui à qui toutes les créatures obéissent, de ne faire non plus de mal a cette créature que la lance qui perça le sacré côte de Jesus-Christ étant pendu à l'arbre de la Croix. Au nom du Père - Et du Fils - Et du Saint-Esprit - Amen.»

L'épée ayant transpercé le corps du blessé de part en part, l'opérateur répète son invocation du côté du dos, puis il couvre les plaies d'une compresse d'eau de plantain, qui sera renouvelée de 12 heures en 12 heures, Albert le Grand affirme que les plaies se fermèrent très vite et que l'homme guérit et se rétablit rapidement...

Un «charme» du XVe siècle - celui même de Jeanne d'Arc - ne fait que confirmer le texte récité par le guérisseur de l'anecdote d'Albert le Grand. Il dit, en effet: «Quand Notre Seigneur Jésus-Christ était sur la croix, Longinus vint avec sa lance et lui perça le flanc. Du sang et de l'eau jaillirent de la blessure ( ... ). Je te conjure, sang, de ne pas quitter ce chrétien. »

Ainsi, arrêtait-on une hémorragie...

Qu'entend-on par « rite des gardes?

Il s'agit de rites de protection des troupeaux contre les loups. Disons plutôt: «il s'agissait», car des loups, on n'en rencontre plus guère que dans les zoos. Mais il n'en était pas ainsi au Moyen Age. Les loups étaient, au temps de saint Louis, ou de François ler, un des fléaux les plus redoutés des campagnes. Leurs méfaits se sont d'ailleurs, prolongés bien au-delà, jusqu'au siècle dernier, et dans certains villages isolés de France, on passait encore quêter « pour le loup », c'est-à-dire pour la battue aux loups. Les « lieutenants de louveterie» perpétuent aujourd'hui le souvenir de cette vieille terreur du loup. Rien d'étonnant donc à ce que les sorciers aient récité des incantations contre ces animaux féroces et dangereux. Il s'agit ici de magie blanche - du moins du point de vue des humains! et un prêtre aurait presque pu, sans sacrilège, répéter, après le sorcier :
« Bêtes à laine, je vous prends au nom de Dieu et de la Très Sainte Sacrée Vierge Marie. Je prie Dieu que la saignerie que je vais faire prenne et profite à ma volonté, Je te conjure que tu casses et brises tous sorts et enchantements qui pourraient être Passés dans le corps de mon vif troupeau de bêtes à laine que voici présent devant Dieu et devant moi, et qui sont à ma charge et à ma garde. Au nom du Père, du Fils, du Saint-Esprit et de Monsieur Saint Jean Baptiste et de Monsieur Saint Abraham! »
Le berger Pouvait y ajouter, en guise de conclusion: «Vade retro, ô Satana !». Cette prière s'appelait l'Oraison du Loup, ou le Paster du Loup. Mais il s'en disait de moins orthodoxes, faisant appel aux puissances de l'Enfer :
«Astarin, Astaroth qui es Bahol, je te donne mon troupeau à ta charge et à ta garde; et, pour ton salaire je te donnerai bête blanche ou noire, telle qu'il me plaira. Je te conjure, Satarin, que tu me les gardes par tout dans ces jardins, en disant Hurlupapin! »
Le berger est souvent sorcier, et, s'il défend farouchement le troupeau à lui confié, il ne se gène pas pour jeter, à l'occasion, des sorts contre les bêtes de ses ennemis...

1.4. Traditions orales et grimoires

Que ce soit dans des livres - les grimoires - ou dans une tradition orale, transmise de génération en génération, il existe un grand nombre de formules d'incantation, pour faire le bien ou le mal, selon le cas et selon le désir de celui qui les prononce. Ces formules sont dites selon un rituel magique spécial, qui varie d'un pays à l'autre, voire d'un village, ou d'une tribu à l'autre. Mais elles ont en commun un certain nombre de mots, de phrases et d'actes, dont les buts sont toujours les mêmes: faire du bien à celui qu'on aime, du mal à celui qu'on hait; se protéger soi-même, se procurer amour, santé, richesse, puissance, un but, en un mot, matériel, d'où est exclue toute quête, toute amélioration spirituelle... Avant d'aborder les grimoires célèbres et classiques, entre autres les fameux Petit Albert et Grand Albert, arrêtons-nous sur quelques incantations extraites d'un Petit cahier manuscrit rempli de formules magiques. Ce cahier se trouvait dans l'une des poches d'un certain «général» Benoit Batraville, autrement dit un chef révolutionnaire haïtien, qui fut tué le 9 mai 1920. Comme ces recettes étaient écrites à la main et en dialecte «créole» - c'est un dérivé du français, parlé dans notre vieille colonie d'Ancien Régime - on peut supposer qu'elles provenaient d'une antique tradition orale, d'origine africaine, tout comme la religion vaudou, elle-même venue du Dahomey. Il nous a paru curieux de commencer notre initiation de jeteur de sorts - bons ou mauvais - par quelques recettes du «général» haïtien, «Pour se préserver des Balles Faites une chemise de tissu rugueux que vous porterez, et tressez une ceinture d'herbe d'Aaron à trois brins que vous ceindrez en disant: «Dieu du Ciel, Seigneur de la Terre, roi immortel et invisible devant qui tremblent toutes les puissances, faites que je ne sois pas vaincu, mais vainqueur, Amen.» Tous les vendredis, faites aux pauvres l'aumône de quatre centimes.»

Nous ne savons si le «général» a péri par balle, ou autrement. Mais il fut, tout de même, tué, malgré sa formule magique. «Pour sortir de prison», il suffit de répéter à minuit: « Sésame, Sésame, ouvre-toi! » et les menottes s'ouvriront toutes seules. Pour faire s'ouvrir les portes de la prison, on doit user de phrases un peu plus longues et compliquées, où il est question d'Agrippa (Cornelius Agrippa de Nettesheim, savant homme du temps de la Renaissance, également très renommé comme magicien et kabbaliste), d'Agrippine - la mère de Néron (pourquoi faire?) - d'une Marianne, des trois Maries (celles des gitans, aux Saintes-Maries-de-la-Mer) et de « Marié, Tecel, Phares », les trois mots mystérieux du festin de Balthazar, expliqués par le Prophète Daniel! Ce texte est typique du galimatias qu'on retrouve dans la plupart des incantations et des invocations des magiciens et des sorciers, galimatias qui fait évoquer celui de quelque comptine enfantine, galimatias qui peut être également assimilé à un argot réserve aux initiés. Le cahier du pauvre «général», auquel son grimoire n'avait pas eu le pouvoir d'éviter la défaite et la mort, contenait encore beaucoup d'autres recettes, par exemple, contre diverses maladies: la fièvre jaune - un des plus terribles maux de l'Amérique tropicale - recette où les citrons jouent un grand rôle; le mal de dents, recette où revient en leitmotiv le mot «abracadabra», cher aux occultes; les rhumatismes - ici, il semble plutôt s'agir d'un baume fait de plantes et d'huile, dont les vertus thérapeutiques sont, sans doute, réelles, d'un baume comme en emploient les guérisseurs de nos campagnes, et comme les préconise de nouveau, avec succès, Maurice Messëgue. Terminons sur la façon de guérir une cheville foulée: cela commence par une formule pariée: «Ante, Antete, Saparlantes», et se poursuit par un pansement sur la cheville, composé d'eau cendrée et de sept feuilles de cachimenta, et conservé pendant trois jours.

1.4.1. Les grimoires

Comme une grammaire est le livre contenant les règles du langage, de même un grimoire est le livre qui renferme les règles de la magie et de la sorcellerie: «grimoire» est, en effet, une altération du mot grammaire. Au Moyen Age les grammaires, rédigées en latin, étaient incompréhensibles au commun des hommes, d'où cette assimilation aux livres de sorcellerie, rédigés en un charabia peu accessible. Ceux qui n'ont pas eu le privilège d'être initiés par un autre sorcier, ceux à qui les secrets n'ont pas été transmis par filiation, ceux qui n'ont pas eu la chance de recevoir la Tradition orale, en sont réduits à utiliser les grimoires, à condition de les comprendre... Il en existe trois principaux: Les Véritables Clavicules de Salomon (clavicules étant, bien entendu, le diminutif de «clés»), le Grand Grimoire et le Grimoire du Pape Honorius.

Sous le règne de l'empereur romain Vespasien (il y a donc juste 19 siècles) (20 siècles maintenant...), il circulait déjà un livre d'incantations, sous le nom du fameux roi d'Israèl, Salomon, réputé pour sa « sagesse», entendez ses connaissances en occultisme et en magie. Mentionné au XIe Siècle par le Byzantin Michel Psellos, ce formulaire de recettes magiques est sans doute passe de Byzance en Occident au moment des Croisades, notamment lorsque les guerriers d'Occident eurent pris et occupé Constantinople en 1204. A Rome, selon une légende, il fut remis au point par le pape Honorius III, qui régna de 1216 à 1227. Avec la naissance et le développement de l'imprimerie, les grimoires acquirent peu a peu une grande expansion. Mais, c'est surtout, dans la première moitié du XIXe siècle, entre 1820 et 1850 (Restauration et règne de Louis-Philippe) que les colporteurs, avec leurs gros ballots sur le dos, les répandirent dans les campagnes françaises. C'est alors que les armoires et les coffres de certains paysans renfermèrent, bien cachés au milieu des piles de linge de grosse toile, des grimoires au titre alléchant, mais sentant un peu le soufre: Le Dragon Rouge, ait l'art de commander les esprits célestes, aériens, terrestres, infernaux, et surtout deux livres dont le nom est demeuré connu de tout le monde: Les Secrets du Grand Albert, et Les Secrets du Petit Albert, prétendus écrits du célèbre philosophe et savant du XIIIe siècle, Albert le Grand. Cet esprit universel et curieux de tout s'intéressa vraisemblablement à l'occultisme, mais n'écrivit pas ces recueils médiocres et puérils. Ce sont des apocryphes du XVIlle siècle, plagiés au siècle suivant et transformés en de bas manuels de Sorcellerie, au demeurant curieux, pittoresques, amusants, et actuellement réédites avec succès.

1.4.2. Le Grand et le Petit Albert et quelques unes de leurs recettes

Il s'agit de recueils de recettes magiques, dont certaines sont innocentes et anodines, telle celle-ci contre les fourmis filer et réduire un poudre de la marjolaine bâtarde sur l'endroit ou il y a des fourmis, et elles s'en iront aussitôt - C'est Peut-être aussi efficace et certainemennt moins dangereux, que le, DDT. Mais d'autres sont plus ou moins criminelles:
« Si vous jetez dans de l'eau de puits le coeur d'un merle, avec le sang d'une huppe, et que vous les mêliez ensemble, et que vous en trottiez ensuite les tempes de quelqu'un, il tombera malade et sera même en danger de mourir »
Comment s'en étonner, si l'on veut bien admettre que le premier, le principal objet de tous ces grimoires est d'appeler à son aide Satan, ou l'un de ses innombrables sous-fifres, puisque, selon Jean Wier, médecin et démonologue du XVIe siècle il y aurait 72 Princes et... 7 405 926 démons, « tous immondes »?

Voulez-vous connaître l'une de ces formules d'appel qu'on lançait au Diable pour le faire intervenir en sa faveur ? En voici une, extraite du Dragon Rouge:

« Empereur Lucifer, maitre de tous les esprits rebelles, je te prie de m'être favorable, dans l'appellation que je fais à ton grand ministre, Lucifuge Rafacale, ayant envie de faire un pacte avec lui, je te prie aussi, Prince Belzébuth, de me protéger dans mon entreprise. 0 Comte Astaroth! Sois-moi propice et fais que, dans cette nuit, le grand Lucifuge m'apparaisse sous une forme humaine, et sans aucune mauvaise odeur, et qu'il m'accorde, par le moyen du pacte que je vais lui présenter, toutes les richesses dont j'ai besoin 0 grand Lucifuge! Je te prie de quitter ta demeure, dans quelque partie du monde qu'elle soit, pour venir me parler, sinon je t'y contraindrai par la force des puissantes paroles de la grande Clavicule de Salomon, et dont il se servait pour obliger les esprits rebelles, à recevoir son pacte: ainsi parais au plus tôt, ou je te fais continuellement tourmenter par les puissantes paroles de la Clavicule. »

Mélange de respect et de chantage, tel est le fond de la mentalité du sorcier. Alors le Démon répond - du moins, c'est le grimoire qui l'affirme - :
«Je ne puis t'accorder ta demande qu'à condition que tu te donnes à moi dans vingt ans, pour faire de ton corps et de ton âme ce qu'il me plaint».

«Alors - poursuit le Dragon Rouge - vous lui jetterez votre pacte, qui doit être écrit de votre propre main, sur un petit morceau de parchemin vierge, qui consiste en ce peu de mots ci-après, en y mettant votre signature avec votre véritable sang :

PACTE
« Je promets au Grand Lucifer de le récornpenser dans vingt
ans de tout ce qu'il me donnera. En foi de quoi, j'ai signé. »

De plus, le sorcier renonce à Dieu, à la Vierge et aux Saints. Il n'a plus qu'à attendre les mirifiques résultats de son alliance avec le Grand Ministre de Lucifer...

D'autres grimoires nous fournissent des variantes de l'appel au Diable:
« Lucifer, je te conjure de quitter l'endroit du monde ou du ciel, où tu te trouves présentement, et te contrains par la puissance du grand Adonaî, Elohim, Aagla, de venir répondre à haute voix à ce que je te demanderai et que tu ne pourras pas me refuser. »

Une formule plus simple est celle-ci: «Satan, Rantan, Pallantre, Cricacoeur, Scirigram». Cette espèce de comptine ne vous paraît-elle pas vraiment un peu simpliste? Fort peu de pactes nous sont parvenus: on les brûlait avec les sorciers et les pièces de leurs procès sur le même bûcher. Il en a, tout de même, réchappé quelques-uns. Par exemple, celui qui liait un savetier savoyard, de la région d'Albertville, et que celui-ci avait signe un jour de 1668: «Moi, Christophe Haizemarin, je me vends à Satan ici présent pour être son propre fils corporel et lui appartiendrai, corps et âme, la neuvième année». Effrayé, affolé, le pauvre Christophe, à la veille de l'échéance - le 29 août 1677 vint se confesser au Père Abbé du monastère de Tante, qui, grâce à des exorcismes, parvint à faire lâcher sa proie à Satan! Le plus célèbre des pactes qui soient arrivés jusqu'à nous, est celui soi-disant signé par le curé de Loudun, Urbain Grandier, et produit, contre lui par ses accusatrices, les Ursulines de cette ville. On sait que l'abbé Grandier périt par le feu. «Monseigneur et Maître, je vous reconnais pour mon dieu et vous promets de vous servir pendant que je vivrai, et dès à présent je renonce à tous les autres et à Jésus-Christ et à Marie à tous les Saints du Ciel et à l'Eglise Catholique, apostolique et romaine, et à tous les suffrages d'icelle et oraisons qui pourraient être faites pour moi, pour vous adorer et faire hommage au moins trois fois le jour et faire le plus de mal que je pourrai et attirer à mal faire autant de personnes qu'il me sera possible, de bon coeur je renonce au carême et au baptême et à tous les mérites de Jesus-Christ, et au cas que je me voulusse convertir, je vous donne mon corps, mon âme et ma vie comme la tenant de vous, l'ayant cedèe à jamais sans me vouloir repentir. Ainsi signé Urbain Grandier de son sang.» Ce document se trouve a la Bibliothèque nationale au Fonds français des Manuscrits.

Avant de feuilleter ces livres passionnants que sont les grimoires, il faut lancer, à ceux qui seraient tentés de s'en servir pour évoquer Satan et ses démons et faire appel à leur aide, une ultime recommandation. Si ce personnage, aussi puissant que redouté, vous apparaissait, donnez-lui aussitôt un cheveu, une paille, voire une savate: sinon, il vous tordrait le cou et vous emporterait en Enfer! Mais la meilleure, la plus soie, la plus efficace des protections demeure, lors des séances d'évocation, le cercle magique. Lorsque vous y êtes enfermé, aucune des entités néfastes, qui rôdent alors autour de vous, ne petit franchir cette ligne - réelle ou fictive - qui vous entoure. Seul le démon invité nominativement peut la passer; et, cela fait, il est à votre merci et ne peut plus rien contre vous.

Quelques recettes du Grand et du Petit Albert

Si quelqu'un porte un coeur de chien, du côté gauche, les autres chiens n'aboieront pas à son passage. L'inconvénient de ce charme est qu'il faut le renouveler assez souvent, à moins qu'on accepte de se promener avec un coeur en putréfaction. Et, pour le renouveler, il faut chaque fois occire un chien...
Si vous placez un pied de taupe dans un nid, les oeufs n'écloront pas: recette encore fort anodine. Celle-ci l'est un peu moins: Si l'on veut savoir la pensée et les desseins des autres, on prendra la pierre Bératite, qui est de couleur noire, et on la mettra dans la bouche. Il existe, d'ailleurs, une variante, qui consiste à porter cette pierre sur soi, et qui rend gai, joyeux, et bien reçu de tout le monde : un tel souhait est on ne peut plus louable. Mais l'emploi de la pierre Quirin est déjà moins recommandable: elle est, paraît-il, merveilleuse, lorsqu'on veut savoir la pensée d'un homme, car elle lui fait dire tout ce qu'il a dans l'esprit, pendant qu'il dort, si on la lui met sur la tête. On trouve cette pierre dans le nid des huppes, et on l'appelle ordinairement la pierre des traîtres. Nous l'appellerions aujourd'hui «sérum de vérité», et nous savons que le pentothal et l'hypnose sont parfois employés dans ce but. Avec la pierre Urice le but recherché est encore plus délictueux on s'en sert pour brûler la main de quelqu'un sans feu. Et le grimoire d'ajouter: «si on la serre fortement (la pierre) elle brûlera comme du feu», ce qui ne doit pas en rendre facile le maniement par son possesseur... Si, avec cette pierre, on possède un moyen de brûler autrui il y en a une autre qui contient un charme contre le feu : Pour empêcher qu'un habit ne brûle, il faut prendre la pierre Isthmos, qui est semblable à du safran et se trouve dans quelques endroits d'Espagne, proches du détroit de Gibraltar : les Colonnes d'Hercule. Si on en frotte un habit, il sera incombustible. C'est cette pierre qu'on appelle le charbon blanc.

Quittons les pierres pour les fleurs, et, plus spécialement, les lys : « Si vous amassez des lys pendant que le soleil est dans le signe du Lion et si vous les mêlez avec du suc de laurier, et qu'ensuite vous méttiez le tout, pendant quelque temps, sous du fumier, il s'y engendrera des vers, lesquels étant réduits en poudre, et mis autour du cou, ou dans les habits de quelqu'un, l'empêcheront de dormir tant qu'ils y demeureront. - ou bien, si l'on frotte quelqu'un de ces vers nés dans le fumier, il prendra aussitôt la fièvre » Toujours avec des lys - mais sans aller jusqu'au fumier et aux vers - on peut préparer un sortilège contre les vaches de ses ennemis: «Si l'on met du lys, comme dessus (c'est-à-dire cueilli sous le signe du Lion), dans quelque vase où il y aura du lait de vache, et qu'ensuite on a couvre ce vase d'une peau de vache, de même couleur, toutes celles des environs tiendront leur lait.»

Des fleurs passons aux oiseaux, d'abord aux merles «Si l'on pend des plumes de l'aile droite d'un merle avec un fil de couleur rouge, au milieu d'une maison, où l'on n'aura pas encore habité, personne n'y pourra dormir tant qu'elles y seront pendues. - Si l'on met son coeur (du merle) sous la tête d'une personne qui dort, et qu'on l'interroge, elle dira tout haut ce qu'elle aura fait. » Après avoir découvert que le coeur du merle est aussi, sinon plus, efficace que notre narco-analyse, et nous être souvenu que ledit coeur, mélangé au sang d'une huppe, est un sortilège mortel, quittons ce passereau siffleur pour les roucoulantes tourterelles, dont nous allons connaître les venus tantôt bonnes, tantôt mauvaises:
« Un coeur de tourterelle éteindra tous les feux de la concupiscence, si on le porte dans une peau de loup.
- Si l'on brûle ce coeur et qu'ensuite on le mette sur les neufs d'autres oiseaux, ils ne produiront rien.
- Si on pose les pieds de tourterelle près d'un arbre, il ne portera jamais de fruits.
- Si on frotte de son sang, mêlé avec de l'eau, dans laquelle on aura fait cuire une taupe, à quelque endroit où il y aura du poil, tous les poils noirs tomberont. »

1.4.3. Charmes et contre-charme sexuels

«Prenez de la fiente de bouc avec de la farine de froment; faites sécher le tout ensemble; ensuite, pilez-le, et mettez-le chauffer avec de l'huile. Après cela, frottez-vous tout autour... de ce que vous savez, avant l'acte d`arnour il est sûr que votre femme n'aimera que vous.»
Après le charme, le contre-charme:
«Si une femme a donné quelque chose à un homme pour se faire aimer, et qu'il s'en veuille défaire, il prendra sa chemise et urinera par la têtière et par la manche droite. Aussitôt, il sera délivré de ses maléfices.»
Pour éviter de porter des cornes, on peut essayer la méthode que voici:
« Si l'on veut empêcher qu'une femme commette des infidélités envers son mari, que l'on prenne de ses cheveux. Les ayant fait brûler et réduire en poudre qu'on les jette sur une couchette, sur un lit, ou sur une chose que l'on aura auparavant frottée avec du miel; et que son mari l'y «connaisse» peu de temps après: elle n'aimera que lui. »
Les grimoires nous fournissent même une recette contre l'alcoolisme, que je vous livre, à toutes fins utiles... et inutiles.
«Si on met plusieurs anguilles dans un pot de vin, et qu'on les y laisse mourir, celui qui en boira haira le vin pendant un an, et n'en boira peut-être plus pendant le reste de sa vie»... à condition qu'il ne meure pas empoisonne dans les quelques jours qui suivront l'ingurgitation de cette affreuse mixture.

1.4.4. Le « Picatrix »

Un grimoire aux secrets terribles: le «Picatrix»

C'est - paraît-il - en 1256, au temps d'Albert le Grand et de Saint Louis, que surgit en France un grimoite, traduit de l'arabe, et qui s'appelle le Picatrix, du nom de son auteur. C'est - parait-il, encore - l'ouvrage le plus complet sur la magie noire, et il allait connaître un grand succès jusqu'au XVIIIe siècle, jusqu'au temps de Louis XV, de Voltaire et des Encyclopédistes. Basé sur des données astrologiques, il donnerait naissance à des forces colossales! « Le manuscrit authentique contient des secrets terribles», si l'on en croit un occultiste contemporain, interroge par Robert Charroux. Et de préciser: «Comment on peut détruire une cite avec le «rayon du Silence», comment influencer des hommes à distance, fabriquer des machines volantes», mais avec des moyens différents de ceux de la science du XXe siècle. Ce grimoire serait un reliquat des connaissances des anciens Atlantes... Mais qui a pu prendre connaissance du manuscrit original ? tout d'abord, où est-il caché? il existe bien une traduction en assez vieux français à la Bibliothèque de l'Arsenal, à Paris, mais ce texte ne révèle que des recettes assez banales, dont on peut douter qu'elles soient efficaces, malgré leur orgueilleuse affirmation: «pour détruire une ville». Un peu d'astrologie et un voult sont-ils suffisants pour un si grand dessein ?

Nous trouvons plus pittoresque la méthode suivante permettant de s'éclairer à bon compte:
« Il faut prendre un lézard noir ou vert, lui couper la queue, la sécher, et alors on y trouve un liquide pareil au vif-argent. Enduisez de ce liquide une mèche que l'on place dans une lampe de verre ou de fer. Si on allume la lampe, la maison prendra bientôt un aspect argenté, et tout ce qui sera à l'intérieur brillera comme de l'argent»
ou... comme nos tubes luminescents. Mais nous avouons préférer ne pas nous fier à cette « recette admirable pour les hommes qui veulent aller dans le feu sans être blessés», ou bien qui veulent porter du feu ou du fer chaud à la main:
« Suc de mauve double et blanc d'actif, graine de persil et chaux. Broyez. Préparez avec le blanc d'oeuf mélangé de sève de sapin, Avec cette composition, oignez votre corps ou votre main, laissez sécher. Répétez fonction et, alors, vous pourrez affronter l'épreuve du feu sans dommage.»

Les envoûtements d'amour prônés par le Picatrix sont-ils plus convaincants? Qu'on en juge sur texte:

« Prenez une parcelle de cerveau de gazelle, une demi-parcelle de graisse de queue de mouton, une parcelle de camphre, une demi-parcelle de cervelle de lièvre: mélangez les cervelles à la graisse dans un vase, le fondre, y ajouter le camphre, et puis mettre de côté. Faire une figure creuse de cite fraiche et songer à la femme dont on veut gagner l'amour; faire (dans la figure) une cavité de la bouche jusqu'à l'intérieur et y verser ce qu'on a fait cuire en disant: «Dahyayis, Ganwadis, Nakanis, Dirolanis». Puis prendre une demi-once de sucre candi blanc, la mettre dans la bouche de cette statuette; enfoncer dans sa poitrine un mince clou d'argent, et dire pendant ce temps: « Hadoras, Hélitos, Warnikas». Ensuite envelopper la statuette dans une pièce d'étoffe blanche et dans une autre pièce de soie blanche, sous ses seins enrouler un fil de soie, nouer ses bouts, par sept noeuds et dire à chaque noeud: « Argotas, Hadmios, Phinoras, Adminas». Après avoir fini, mettre la statuette dans une petite couche en argile, creuser dans la maison de l'amant un trou en terre et y placer la statuette de façon qu'elle se tienne debout, puis l'emplir de terre. Ensuite prendre de l'encens et du mastic, de chacun une demi-once, le mettre sur le feu et encenser en disant: «Behimras, Omeras, Kadamidos, Kinores, j'enflamme l'esprit du coeur de N., afin qu'il s'éprenne d'amour pour M., et j'attire l'esprit de son coeur par les forces des esprits spirituels Dabhados, Melivras, Naphtinos». Puis s'en aller, et on peut être sûr que l'esprit d'amour sera éveillé chez la femme, qu'elle n'aura point de repos, qu'elle ne pourra, ni dormir, ni veiller, ni se tenir debout ou assise, jusqu'à ce qu'elle soit attirée vers cet homme, obéissante et humble, sans maitrise sur son propre coeur. L'esprit du moyen magique l'attirera vers l'endroit où la statuette est enfouie, qu'elle le connaisse ou non. »

1.5. Désenvoûtement et Exorcisme

Premièrement, que l'ensorcelé fasse une bonne confession. (...) Deuxièmement, que l'on fasse une inspection diligente de tous les coins de la maison, les lits et les matelas, sous le seuil de la porte, au cas où peut-être des instruments de maléfice pourraient être découverts. De même que l'on jette aussitôt dans le feu les bêtes mortes ensorcelées. II conviendrait même que tout soit renouvelé dans la literie et les vêtements et que l'on change d'habitation et de maison. Troisièmement, au cas où l'on ne trouverait rien, alors l'homme à exorciser, s'il le peut, entrera le matin à l'église, spécialement les jours saints comme les fêtes de la bienheureuse Vierge et les Vigiles; et ce serait mieux si le prêtre s'était confessé et se trouvait en bon état (de grâce) afin d'être plus fort. Quatrièmement, que l'exorcisé tienne une chandelle bénite à la main, qu'il s'assoie du mieux possible ou se mette à genoux. Que les assistants répandent de ferventes prières pour sa libération. On commence la litanie en chantant:
Notre secours est dans le Nom du Seigneur (avec le reports),
et le prêtre asperge d'eau bénite (le malade ensorcelé) et lui met l'étole autour du cou, récitant le psaume:
Dieu, viens à mon aide...
On poursuit la litanie comme de coutume pour les malades. Aux invocations des Saints, on répond:
Priez pour lui (ou pour elle)
aux appels:
Prends pitié,
on répond:
Délivre-le (ou la), Seigneur !
Ceci, jusqu'à la fin où l'on dit les oraisons. Mais, au lieu des oraisons, on commence l'exorcisme et on continue de la manière prescrite:
"Je t'exorcise - toi, Pierre, ou Barbe... - malade, mais re-né dans le sacré-saint baptême; par le Dieu qui t'a racheté de son Sang précieux; afin que tu sois un homme (ou une femme) délivré, que partent et s'éloignent de toi toute la fantaisie et la malice du mensonge diabolique, comme tout esprit impur; à l'adjuration de Celui qui viendra juger les vivants et les morts et ce siècle par le feu. Amen. Prions! (...) Toi, maudit Démon, reconnais ta condamnation; rends honneur au Dieu vivant et vrai; rends honneur au Seigneur Jésus-Christ; retire-toi avec ton oeuvre de ce serviteur (de Dieu) que Notre Seigneur Jésus-Christ a racheté de son Sang précieux... Prions! (...) Amen!"
(On asperge toujours d'eau bénite). (...) Et ces exorcismes, on pourrait les continuer au moins durant une semaine (...). Après tout cela, on doit communier le (ou la) malade au sacrement de l'Eucharistie, même si certains pensent qu'il faut le faire avant l'exorcisme. (...) Et puis, que l'on écrive l'Evangile de Jean: "Au commencement... ", qu'on le suspende au cou du malade et qu'ainsi il attende de Dieu la grâce de la santé.

Ce texte est extrait du célèbre Marteau des Sorcières (titre latin: Malleus Maleficarum oeuvre de deux dominicains du XVe siècle, Jakob Spronger et Heinrich Kraemer, publié à Strasbourg en 1486 et très souvent réédité, une trentaine de fois au moins en deux siècles! II s'agit donc ici d'exorcisme pour chasser la maladie, attribuée au Prince des Ténèbres. L'exorcisme est le désenvoùtement sous son aspect religieux. Quant au désenvoûtement d'aspect magique, celui pratiqué par un sorcier, il comporte de très nombreuses variantes. Nous allons nous arrêter quelques instants sur ceux qui pratiquent le désenvoûtement.

1.5.1. Le « Barreur de sorts »

Une personne, ou une bête, a été frappée d'un mauvais sort par un envoûteur. Comment détruire le pouvoir maléfique du sortilège? Par une opération, également magique, de désenvoûtement, dont se charge le "barreur de sorts" ou "leveur de sorts" qui est l'adversaire du jeteur de sorts et, en quelque sorte, l'avocat de la défense, ce qui n'empêche qu'on se méfie de lui: on craint, et souvent à juste titre, que ce personnage joue sur les deux tableaux, gagnant le double pour envoûter puis pour désenvoûter... Le désenvoûteur prononce des incantations - tout comme l'envoûteur - et emploie des matières réputées chasser les esprits démoniaques. L'une des plus connues et des plus courantes de ces matières est le sel, élément exorcisant s'il en est, puisque l'église chrétienne en met sur la langue du nouveau baptisé pour chasser le Diable, censé habiter tout être humain avant le baptême, et ce depuis le péché originel d'Eve et d'Adam. Satan a une "sainte" horreur du sel, et l'on sait que les repas de sabbat n'en comportent pas la moindre parcelle. Le désenvoûtement se pratique encore dans maintes campagnes, là où les sorciers ont gardé leur audience, par exemple en Normandie, dans le pays Manceau, le Poitou, la Vendée et le Berry (les leveurs de sorts de Rezay avaient une haute réputation), toutes régions qui sont demeurées des hauts lieux de la sorcellerie. Les prêtres n'y peuvent rien, pas plus que les vétérinaires, dont l'un disait à un journaliste venu faire une enquête sur ce sujet en pays poitevin :
"Si l'animal guérit, c'est grâce au sorcier; s'il meurt, c'est notre faute. "
Et c'est à un vétérinaire de Richelieu que nous devons cette anecdote symptomatique de la mentalité "magique" des paysans du cru. On l'appelle un soir pour un cheval atteint de très graves troubles intestinaux. Il fait son diagnostic, prescrit des remèdes; il est sur le point de partir, quand il demande incidemment des nouvelles de son fils au vieux fermier:
- II est parti "voyager", répond l'autre, d'un ton gêné et agacé.
Le vétérinaire sait ce que veut dire, dans la région, "partir voyager", c'est aller chercher le "barreur de sorts" ! Les gens de la ferme ne doutaient pas que le cheval fût envoûté par un "jeteur de sorts". " Je voulus en avoir la certitude. Le lendemain matin, à 5 heures, je revins et poussai la porte de l'écurie: le cheval était entoure de bougies allumées et, un peu partout, pendaient aux poutres des paquets d'herbes sèches et mystérieuses. Le fermier surgit, fort en colère.
"Je vous interdis, me dit-il, de toucher à l'animal. Vous le feriez crever!"
Le plus amusant de l'histoire - conclut le vétérinaire - c'est que le cheval avait 25% de chances de guérir, et qu'il a guéri. Le curé, lui, est obligé de faire semblant de croire aux envoûtements, il n'ose pas lutter de front contre ce qui n'est le plus souvent que suggestion et autosuggestion, que superstition plus ou moins ridicule.

1.5.2. Est-il possible de se protéger contre les maléfices ?

Suivant le dicton, il vaut mieux prévenir que guérir, il vaut mieux se protéger contre un éventuel sortilège, et l'empêcher d'agir, le repousser, le chasser loin de soi, avant qu'il ne vous atteigne. C'est le rôle des contre-charmes. En premier lieu-aux époques et aux pays d'Occident où la foi chrétienne était vive venaient la prière, et la récitation de certains versets des Saintes Ecritures, tel celui-ci, du prophète Zacharie: "Que le Seigneur te confonde, Satan, que le Seigneur te confonde, lui qui a fait de Jérusalem son élue"; tel encore ce passage du Psaume 91: "Car voici que vos ennemis, Seigneur, vos ennemis vont périr, voici que vont être dispersés tous les artisans du mal ". L'eau bénite était - et est encore - considérée comme un dérivatif très efficace, qui attire et détourne le fluide néfaste des Démons et de leurs mandataires, les sorciers. Depuis le milieu du XIXe siècle, est venue s'y ajouter l'eau de Lourdes. Certaines matières solides sont censées avoir les mêmes pouvoirs protecteurs: le charbon de bois, parce qu'il absorbe le fluide, les pointes (des clous, des pincettes, des épées, des poignards), parce qu'ils agissent sur lui comme sur l'électricité: ne parle-t-on pas quelquefois d'étincelles grésillantes provoquées par un poignard au cours d'une séance magique? On peut aussi entourer son lit d'un grillage métallique isolant, rappelant la cage de Faraday. L'aimant posséderait également une vertu contre les démons, tandis que l'amiante, au contraire, absorberait et accumulerait les charmes maléfiques. Enfin certains bijoux, certaines pierres et gemmes - le corail, le jaspe -, certaines herbes et épices, certains parfums qu'on brûle - l'encens -, l'huile de castor, ou tout simplement un fil rouge, et, bien sûr, toutes les sortes d'amulettes, de médailles bénites, sans omettre le sel et le signe de croix, voilà quelques-unes des armes innombrables de l'arsenal anti-envoûtement!

1.5.3. Le transfert

C'est l'une des techniques du désenvoûtement, peut-être même la principale. Aucune force ne peut se perdre, elle se transforme, elle se déplace, elle se transfère ailleurs. C'est ainsi qu'un thaumaturge opère, usant de la puissance du psychisme sur les phénomènes biologiques, c'est ainsi qu'agissait le Christ, comme nous allons le lire ensemble dans l'Evangile de Saint Matthieu (8.28-32):

" Sur l'autre rive du lac (de Tibériade), au pays des Gadaréniens, deux démoniaques sortant d'un cimetière vinrent à sa rencontre: ils étaient en telle furie que personne n'osait passer par là. Et les voici qui se mettent à hurler:
" Qu'avez-vous affaire avec nous, Fils de Dieu? Etes-vous ici pour nous tourmenter avant l'heure? "
II y avait, non loin d'eux, un important troupeau de porcs qui paissaient. Les démons implorèrent Jésus:
" Si vous nous expulsez, envoyez-nous dans ce troupeau de porcs!
- Allez ", leur dit-il. Ils sortirent et entrèrent dans les pourceaux. A cet instant, le troupeau tout entier se précipita des pentes escarpées dans le lac, et ils périrent dans les eaux. "

A défaut d'explication du phénomène, nous savons au moins en quoi il consiste... Qu'il s'agisse ou non de " démons", l'action est la même: transporter le mal d'un être humain sur un animal. On peut, au lieu de pourceau - ou de chat, comme ce sera le cas pour le jeune Blaise Pascal -, se servir d'un arbre, comme ce chêne vénérable de la forêt de Marly, tout percé de coups: il parait que cet arbre reçoit les charges maléfiques enlevées par les désenvoûteurs sur les personnes mêmes des envoûtés et qu'il en suinte une sève peu normale, une sève sans doute dangereuse à toucher... Un démonologue du temps d'Henri IV qui se nommait Henry Boguet, et qui est l'auteur d'un Discours des Sorciers, publié à Lyon en 1602, et douze fois réédité en 20 ans, nous a rapporté plusieurs récits de transfert:

"Je connais un homme, lequel étant en l'âge de dix à douze ans, devint comme transporté. On jugea incontinent qu'il avait été ensorcelé par les menées d'un certain que l'on soupçonnait, et qui avait auparavant menacé le père de lui nuire et à ce qu'il aimait le mieux. II advint un jour que, comme le fermier du père passait, avec une poule qu'il portait en main, par devant la maison du soupçonné celui-ci lui demanda où il allait. Le fermier répond qu'il allait voir le fils de son maître qui était malade. L'autre réplique qu'il en était bien fâché, et dit au fermier qu'étant arrivé en la maison de son maître, il dût mettre la poule qu'il portait à terre et que, si le garçon la tuait, il guérirait, mais que l'on se gardât bien d'en manger. Le fermier, étant au logis de son maître, fait ce qui lui avait été dit: il met bas la poule, laquelle va se rendre aussitôt devant le garçon qui était malade. Ce garçon la prend par le col et la tue et, à l'instant, guérit. Le second exemple est de Louise Servant, dite la Surgette, laquelle guérit Philippe d'Amelanges de Salins, mais, à mesure que le malade guérissait, il lui mourait des poules et des canes en sa maison, qui arrivèrent enfin jusque au nombre de vingt. Or, qui ne croira que le sort ait été jeté sur ces poules et ces canes?"

Après Boguet, c'est Nicolas Rémy, un autre émule des Bodin , Boguet et de Lancre, comme eux démonologue, comme eux grand pourfendeur de sorcières et grand pourvoyeur de bûchers! C'est donc ce Nicolas Rémy qui nous apporte son témoignage sur une sorcière, laquelle pour guérir un enfant, jeta le mauvais sort sur des bestiaux... Ceux qui veulent épargner boeufs, moutons, chiens et chats, peuvent effectuer le transfert sur un objet inanimé, par exemple un récipient plein d'eau:
"Si vous avez peur de désigner une victime animale - a, en effet, conseillé René Schwaeblé, dans son livre Le Problème du Mal, un ouvrage qui remonte au début du siècle - remplacez-la par un vulgaire baquet d'eau; si la charge n'atteint pas votre ennemi, vous la verrez venir troubler l'eau, l'agiter, la faire bouillir, jaillir en puits artésien..."
C'est, évidemment la meilleure solution pour un désenvoûtement, la plus simple et la moins condamnable. A ceux qui s'étonneraient du pouvoir de l'eau, il n'est que de rappeler ceci: la première purification à laquelle on soumet des personnes ayant subi une irradiation atomique est la douche. Or, si l'envoûtement est une réalité, c'est, à n'en pas douter, le fait de puissantes radiations psychiques.

1.5.4. Retour à l'envoyeur

On peut détourner l'envoûtement, on peut le transférer sur un animal, ou un arbre, ou un objet inanimé. On peut aussi le renvoyer au jeteur de sorts, en effectuant ce qu'en langage de la poste, on nommerait le "retour à l'envoyeur", c'est le contre-envoûtement, encore appelé choc en retour. Nous avons déjà entretenu les lecteurs de cet effet de boomerang. II passe pour très dangereux: il peut - assure-t-on - tuer celui qui le reçoit, ou, pour le moins, le paralyser ou le rendre fou. Disons qu'il est un peu l'équivalent du choc causé par un courant électrique de fort voltage, ce qui n'a rien d'étonnant si l'on est en présence - comme nous le pensons - de radiations psychiques, peul-être pas tellement éloignées des ondes radio-électriques. A ceux qui en doutent - et même sourient de cette comparaison - rappelons que l'électroencéphalogramme révèle, sans conteste, l'existence d'ondes cérébrales
" Vous en voulez atrocement à quelqu'un - lisons-nous dans Le Problème du Mal, de René Schwaeblé - vous lui souhaitez ardemment du mal, vous y rêvez jour et nuit, vous ne dormez plus, vous ne mangez plus, vous tombez malade, vous ne travaillez plus, vous vous ruinez, vous maigrissez. Le choc en retour! (...) Vous invoquez les élémentals (esprits de la nature, inconsistants mais réels, sorte de faune invisibles, selon ls magiciens)), vous appâtez des larves (esprits élémentaire incomplets, incarnations inachevées, soi-disant employés en magie noire), vous leur commandez de porter à votre ennemi quelque savant poison: l'ennemi, prévenu par une voyante, ou expert en sciences occultes, se défend, repousse le messager. Celui-ci tient bon la charge, et prétend l'employer, soit contra l'expéditeur, soit contre le destinataire. Le destinataire refuse la charge, la charge retombe sur vous. Le choc en retour! "

1.5.5. Il y a bien longtemps...

Aujourd'hui, l'Eglise ne pratique plus que très rarement les exorcismes: ses prêtres n'y croient plus, et surtout ne croient plus ni à l'envoûtement par un sorcier, ni à la possession par un démon. Comme beaucoup d'autres personnes confrontées à ces manifestations, ils concluent à des phénomènes purement humains dont la cause est à rechercher dans la personnalité du sujet: un envoûté, un possédé, pour beaucoup, est un être plus ou moins atteint de troubles psychiques. C'est ainsi que pour le R.P. Tonquedec, la possession ne serait que psychose et suggestion, ou autosuggestion... Mais qui est donc ce R.P. Tonquedec? L'auteur d'un livre sur Les maladies nerveuses ou mentales et les manifestations diaboliques. Mais d'où tire-t-il cette science sur le diabolisme? Tout simplement de son ancienne fonction d'exorciste qui l'a mis en présence de tant de cas frisant l'hystérie ou la démonopathie... Nous venons d'écrire le mot " possession ". II est, ici, question de la possession diabolique, liée à l'envoûtement et à la sorcellerie. Un envoûteur peut, en effet, la provoquer: elle est, d'ailleurs, un envoûtement opéré par le Diable et ses démons. Elle appartient donc à notre domaine et l'exorcisme contre les possédés n'est nullement hors de nos actuelles préoccupations. Si l'Eglise du XXe siècle - bien que conservant un prêtre exorciste dans chaque diocèse ne recourt que de plus en plus rarement et avec de plus en plus de réticence à cette cérémonie, il n'en fut pas toujours ainsi. Jadis, elle en usa et en abusa. C'est ainsi que le Marteau des Sorcières comporte la description de différents exorcismes contre diverses sortes d'envoûtements. C'étaient des cérémonies longues et compliquées. Si l'on se réfère au Rituel Romain de Paul V - un Pape qui occupa le trône de saint Pierre de 1605 à 1621, et qui protégea et défendit Galilée, lors de son premier procès - l'exorcisme se décompose en onze parties:

1) - litanie, après aspersion d'eau bénite;
2) - récitation du Psaume 54: "Prêtez, ô mon Dieu, l'oreille à ma prière. (...) Anéantissez-les, Seigneur, confondez leur langage. (...) Les hommes de sang et de fraude n'atteindront pas la moitié de leurs jours, tandis que moi, c'est en vous, Seigneur, que je mets mon espoir". (Une cinquantaine de vers en tout);
3) - adjuration à Dieu et interrogation sur le nom du démon
4) - récitation de trois textes d'Evangile: "Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu... " de Jean, puis un passage de Marc, et enfin un autre de Luc;
5) - prière préparatoire;
6) - prononcé du premier exorcisme contre Satan (tandis que le prêtre, revêtu d'une étole violette, dont un bout entoure le cou du possédé, pose sa main droite sur la tête de ce dernier);
7) - prière avec signe de croix sur celui-ci;
8) - second exorcisme contre le "Vieux Serpent";
9) - nouvelle prière;
10) - troisième et dernier exorcisme;
11) - cantiques, psaumes et prières finales.

A peu près le même cérémonial que celui du Marteau des Sorcières, en tout cas fort long et fort éprouvant pour le "patient", comme l'a remarqué le R.P. de Tonquedec:
" L'exorcisme est une cérémonie impressionnante qui peut agir efficacement sur l'inconscient des malades; les adjurations au démon, les aspersions d'eau bénite, l'étole passée au cou du patient (comme au temps de Paul V) (...) sont très capables de susciter, dans un psychisme déjà débile, la mythomanie diabolique en paroles et en actions. Si on appelle le diable, on le verra: non pas lui, mais un portrait composé d'après les idées que le malade se fait de lui."
Que l'on se représente ces solennelles et grandiloquentes séances d'exorcisme public, accomplies dans une église, en présence d'une immense foule de badauds curieux, venus là comme à un spectacle de "haulte graisse ", et l'on comprendra vite le résultat désastreux, catastrophique qu'elles pouvaient avoir sur les nonnes de Loudun de Louviers, et d'ailleurs, déclenchant chez ces malheureuses des scènes d'hystérie collective dignes de celles des hôpitaux psychiatriques au temps de Charcot ! Pour reprendre la formule amusante de Jean Vartier, "l'eau bénite était un fameux bouillon de culture pour le développement de ce virus" qu'était la possession diabolique, tout comme les procès de sorcières, avec leur aboutissement habituel au bûcher, l'étaient pour la sorcellerie et l'envoûtement. Et Jean Vartier d'ajouter que les pays protestants n'ont pas été plus épargnés:
"Dans la région de Montbéliard, les ministres du culte recouraient à l'exorcisme, eux aussi".
Heureux les accusés quand le pasteur se contentait de simples prières, adjurations et conjurations! Car il arriva, plus d'une fois, que chez ceux de la religion réformée, comme chez ceux de la religion romaine forfaire se termina par le feu. On ne peut, en effet, oublier que le pape de Genève n'était pas plus tolérant que celui de Rome, bien qu'il n'existât pas, en Suisse, d'Inquisition...

1.5.6. La Wicca

Le décor est une grande villa de la région bordelaise, le jour est le lundi 13 février 1978, et (événement est une séance d'exorcisme pour chasser les mauvaises entités qui font de cette demeure une maison hantée. Les exorcistes, ici, ne sont pas des prêtres de l'Église catholique - ou protestante- mais le Grand Maître de la Wicca française et trois de ses adeptes, dont une femme. Qu'est-ce que la Wicca? demandera-t-on. C'est tout simplement une société secrète qui a repris le noir flambeau des sorciers et sorcières de jadis. Selon le Grand Maure, " Wicca signifie, en celte, " sagesse ". La Wicca, c'est la connaissance. Un sorcier ne croit pas, il sait ou il ignore ". Les sorciers sont - toujours d'après ce personnage - très nombreux en France: peut-être 50 000! Mais les Wicca d'Angleterre et du Danemark sont encore plus puissantes: en Grande-Bretagne, on appelle la Wicca " l'ancienne religion". Ce serait - comme l'a, d'ailleurs, soutenu, Margaret Murray - le vestige d'une grande et ancienne religion préchrétienne, peut-être celle des constructeurs de Cornac et de Stonehenge. Et l'on sait que l'île de Man - entre Angleterre et Irlande - est le fief des sorciers... Le Grand Maure intervient donc pour débarrasser cette demeure de ses phénomènes de hantise, des phénomènes classiques, désagréables et inquiétants. C'est à un reportage de Cécile Sandona, publié par la revue L'Inconnu (N°26, avril 1978) que nous empruntons ces détails sur la Wicca et sur la cérémonie du 13 février 1978. On assiste d'abord au rituel magique habituel: poser sur une table l'encensoir, l'épée, les baguettes, les bougies rouges, puis allumer celles-ci et l'encens. Tout le monde s'immobilise et le Grand Maure commence à chanter: " Ego, ego, ego, sum sacerdos Luciferi in aeternum ". (Moi, moi, moi, je suis prêtre de Lucifer pour l'éternité). Pendant ce temps, les adeptes se déshabillent: la nudité favorise l'extériorisation de leurs forces psychiques; chacun porte sa baguette à son coeur, salue Lucifer et Lilith... Lucifer - il faut le préciser - n'est pas le Satan des chrétiens, c'est l'Ange de la Connaissance. Quant à Lilith, c'est la déesse de l'amour charnel, un avatar de la VénusAphrodite de l'Antiquité gréco-romaine. C'est aussi la première femme d'Adam - avant Eve et créée en même temps que notre ancêtre - c'est encore la Déesse-Mère, qui régna sur le monde au temps lointain des civilisations matriarcales... Maintenant, le Grand Maure trace avec sa baguette des cercles magiques, pour appeler les forces invisibles... Puis il croise une épée et sa baguette, les élève ainsi ensemble au dessus de sa tète et prononce sa première formule d'exorcisme:
"Je t'exorcise par le feu."
La Grande Prêtresse - c'est la femme du groupe, également nue - élève une des bougies vers... le ciel. L'exorcisme continue: par les trois autres éléments, l'air, l'eau et la terre. " Les entités sont là - annonce le Grand Maure. Nous allons les chasser." Commence alors le combat, à larges coups d'épée en tous sens, à hautes et comminatoires invectives contre les forces du mal. Sur un ordre du Maure, les quatre sorciers entament leur procession à travers les pièces de la maison, toujours avec épée et baguette entrecroisées, et avec encensoir. Comme ces pièces sont très nombreuses- il y en a 30 ! - la cérémonie dure plusieurs heures... C'est enfin terminé, après des remerciements à Lucifer et à Lililh: les entités maléfiques sont - parait-il - chassées. Le Grand Maure grave un pantacle pour interdire désormais la villa aux forces mauvaises...

 

Si vous avez trouvé des fautes d'orthographe, de sens, ou tout simplement si vous désirez une explication supplémentaire, je vous remercie de me contacter.

 

Noirceur Céleste - Æsthetic WebDesign - 20-09-2000
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